Des dialogues de sourds qui s’étirent sur des années et qui rappellent la « maison qui rend fou » des 12 travaux d’Astérix. Voilà comment des maires du Québec qualifient leurs demandes simples et urgentes auprès du ministère des Transports pour sécuriser des intersections parfois mortelles pour les piétons dans leur municipalité.

Réjeanne Marion Lagacé, une septuagénaire active et indépendante, traversait la rue près de chez elle, son café à la main, le 17 novembre dernier lorsqu’elle a été happée mortellement par le conducteur d’un camion GMC qui faisait un virage à l’angle des rues Beaudry Nord et Saint-Louis, à Joliette.

Mme Marion Lagacé s’était plainte de cette intersection dangereuse, qu’elle qualifiait d’« autoroute Beaudry ».

« Notre maman marchait tous les jours, trois fois par jour, se souvient sa fille, Josée Lagacé. Elle avait peur de cette intersection. Elle nous disait : “Ils vont m’écraser les orteils tellement les automobilistes ne respectent pas les piétons.” Au final, elle a perdu la vie. »

La rue Beaudry, qui est la route 343, est de responsabilité provinciale, et la Ville de Joliette demande depuis des années au ministère des Transports (MTQ) qu’elle soit sécurisée pour protéger les piétons qui la traversent, note Pierre-Luc Bellerose, maire de Joliette.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Pierre-Luc Bellerose, maire de Joliette

On demande une chose simple pour régler une situation dangereuse, et dix ans plus tard, le MTQ n’a toujours pas agi.

Pierre-Luc Bellerose, maire de Joliette

La Ville demande la programmation d’un cycle de feux rouges toutes directions qui pourrait permettre aux piétons de traverser l’intersection sans se faire couper la voie par des conducteurs. « Mais le ministère des Transports nous arrive toujours avec des faux-fuyants, des délais, des projets pilotes compliqués… Et ils nous parlent de fluidité des transports : ‟Il ne faut pas que ça vienne perturber la fluidité.” Trois ou quatre personnes peuvent se faire happer, ça, ce n’est pas grave. Mais si ça affecte la fluidité, attention, un instant ! »

Après la mort de Mme Marion Lagacé, Gilles Payer, porte-parole du MTQ, a déclaré au Journal de Montréal que le dossier de cette intersection dangereuse venait de monter « au-dessus de la pile ».

Une déclaration qui fait bondir le maire Bellerose. « Maintenant qu’une personne est décédée, le dossier devient important. Wow, bravo ! Ça fait des années qu’on vous le dit. »

Des changements doivent être mis en place l’automne prochain, mais M. Bellerose s’attend à ce que d’autres délais au MTQ viennent s’ajouter.

« Il y a la grève des ingénieurs. Il y a toujours quelque chose. Ça n’a aucun sens d’avoir de tels délais pour programmer des feux rouges. Ce n’est pas normal. »

Siège vide à la table

Le nouveau maire de Sutton, Robert Benoit, qui, comme le maire de Joliette et huit autres maires du Québec, a signé dans nos pages récemment une lettre ouverte « cri du cœur » dénonçant l’inaction du MTQ au sujet des dossiers piétons, remarque que le ministère contrôle environ la moitié des 246 km de routes que l’on trouve à Sutton, incluant la rue Principale.

Lisez la lettre ouverte des 10 maires

« Mais le MTQ n’est pas assis à la table avec nous, dit-il. C’est comme si on était en copropriété pour un immeuble de condos, mais que ce copropriétaire ne venait pas aux assemblées. »

M. Benoit cite l’exemple des nids-de-poule dans la rue Principale, en face de l’hôtel de ville. « On aimerait les boucher, mais on ne peut pas. On aimerait apaiser la circulation, diminuer le bruit, rendre la ville plus sécuritaire pour les enfants, mais on ne peut pas », dit-il, ajoutant qu’une rencontre était prévue pour en discuter avec une représentante du MTQ en Estrie.

Au cabinet du ministre des Transports, François Bonnardel, l’attachée de presse Claudia Loupret note que la collaboration avec les municipalités va bon train.

« Depuis le début de notre mandat, nous avons fait de la relation avec les municipalités une priorité, ce qui malheureusement n’était pas le cas sous les gouvernements précédents », dit-elle.

Nous avons créé une division spécifique pour répondre aux demandes de nos partenaires municipaux. L’an dernier seulement, c’est plus de 25 000 demandes que le Ministère a reçues.

Claudia Loupret, attachée de presse du ministre des Transports, François Bonnardel

M. Bonnardel a demandé au Ministère de faire un suivi rapidement avec ces municipalités, « et ce sera fait », note son cabinet.

Sandrine Cabana-Degani, directrice de Piétons Québec, signale qu’il n’est « pas normal » que le Ministère attende que des citoyens meurent avant d’agir.

« Le MTQ sait que différents points de son réseau comportent des enjeux de sécurité pour les citoyens », note Mme Cabana-Degani, ajoutant que le Ministère tarde à annoncer son adhésion à Vision Zéro, l’approche internationale qui vise à éliminer les collisions mortelles en s’attaquant à leurs causes.

C’est l’absence d’un plan d’action clair et de procédures sur la façon de répondre aux besoins des villes qui empêche le ministère des Transports d’être à l’affût des demandes des municipalités, dit-elle.

« Les maires du Québec nous disent : ‟On ne sait pas comment faire cheminer une demande efficace, on ne nous donne pas les procédures pour que notre demande soit entendue.” »

Josée Lagacé, fille de Réjeanne Marion Lagacé, note que la disparition subite de sa mère a causé « de la peine et de la colère » à la famille. Elle ira bientôt installer une croix blanche à l’intersection où sa mère a été happée.

« Elle est encore vive, cette colère, et elle le sera tant que la nouvelle lumière ne sera pas installée. Nous ne voulons pas partir en croisade contre le MTQ. Nous voulons, tout simplement, que cela se concrétise. Nous avons confiance. »

Quelques aménagements dangereux du MTQ

Saint-Damien

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

La traverse protégée pour piétons visée par la demande de la municipalité de Saint-Damien

La municipalité de Saint-Damien, dans Lanaudière, a demandé au ministère des Transports d’abaisser la limite de vitesse de 70 km/h à 50 km/h à la hauteur d’une traverse protégée pour piétons, mais cette demande a été refusée l’an dernier.

Marieville

PHOTO FOURNIE PAR LA VILLE DE MARIEVILLE

La route 227 à l’intersection de la rue Girouard-Jeannotte, à Marieville

La Ville de Marieville, en Montérégie, a demandé en 2021 au ministère des Transports que soit sécurisée la route 227 à l’intersection de la rue Girouard-Jeannotte, qui n’est pas munie d’arrêt. Plusieurs écoles se trouvent à proximité et beaucoup d’enfants traversent à cet endroit situé au cœur d’un quartier résidentiel.

Longueuil

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Angle de la route 112/116 et de la rue Saint-Georges, dans le secteur Le Moyne

La Ville de Longueuil a demandé l’an dernier au ministère des Transports de sécuriser l’angle de la route 112/116 et de la rue Saint-Georges, dans le secteur Le Moyne de l’arrondissement du Vieux-Longueuil. Pas moins de 27 collisions se sont produites dans le secteur entre 2017 et 2020, selon Le Courrier du Sud.

Port-Cartier

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La route 138, à l’angle de la rue des Chutes

La Ville de Port-Cartier a demandé au ministère des Transports d’installer des feux de circulation à l’angle de la route 138 et de la rue des Chutes. Cyclistes et piétons peinent à traverser ces quatre voies de circulation rapide.

En savoir plus
  • 320
    Nombre de piétons morts sur les routes du Québec à la suite d’une collision avec un véhicule motorisé entre 2015 et 2019
    Source : Piétons Québec
    8
    Nombre moyen de piétons heurtés par jour par les conducteurs de véhicules motorisés au Québec
    Source : Piétons Québec
  • 33 %
    Proportion des décès de piétons qui ont lieu sur des routes numérotées au Québec, sous la supervision du ministère des Transports
    Source : Piétons Québec