C’est la première fois que la Loi sur les mesures d’urgence, adoptée en 1988 par le gouvernement de Brian Mulroney, est invoquée au Canada. Elle a remplacé l’ancienne Loi sur les mesures de guerre, utilisée trois fois dans l’histoire du pays, soit pendant les deux guerres mondiales et lors de la crise d’Octobre de 1970.

Si elle donne des pouvoirs extraordinaires au gouvernement pour agir, la Loi sur les mesures d’urgence se distingue de sa prédécesseure pour plusieurs raisons. D’abord, elle est assujettie, comme toutes les autres lois canadiennes, à la Charte des droits et libertés.

« Il ne s’agit pas de rentrer dans le tas et d’arrêter tout le monde comme dans les années 1970, explique Stéphane Beaulac, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Montréal. Mais on peut, par exemple, interdire des rassemblements qui autrement seraient possibles. »

Le préambule de la Loi sur les mesures d’urgence indique qu’elle permet de « prendre, à titre temporaire, des mesures extraordinaires peut-être injustifiables en temps normal ». Il est toutefois précisé que le gouvernement ne peut porter atteinte aux « droits fondamentaux […] même dans les situations de crise nationale ».

Les actions du gouvernement ne sont pas non plus à l’abri des poursuites. « Les tribunaux pourraient s’en emparer », résume Stéphane Beaulac. Le professeur rappelle tout de même que les droits individuels sont aussi pondérés en fonction des besoins sociétaux.

Et l’armée, dans tout ça ? « Elle fait partie des mesures possibles, affirme M. Beaulac. Mais si [Justin Trudeau] fait appel à l’armée, il va devoir se justifier. »

Débat parlementaire

Autre nouveauté : le Parlement, donc les partis de l’opposition, de même que le Sénat, devront débattre et appuyer le recours à la Loi sur les mesures d’urgence. « La déclaration de l’État d’urgence doit être ratifiée dans les sept jours, explique Martine Valois, aussi professeure de droit à l’Université de Montréal. Ça doit être débattu à la Chambre des communes. »

« L’exécutif est redevable au Parlement, renchérit Stéphane Beaulac. C’est une grosse différence. »

Une fois ratifiée, la déclaration permet au gouvernement de prendre de nombreuses mesures par décret. ​​Les pouvoirs de la police municipale, provinciale et de la Gendarmerie royale du Canada sont aussi étendus.

L’exercice politique est périlleux pour le gouvernement fédéral, estime Stéphane Beaulac. ​​ « Le gouvernement a l’obligation de rendre des comptes devant la Chambre des communes, souligne-t-il. On peut, à la limite, imaginer un scénario où ça virerait vraiment mal et où il pourrait tomber. »