La victime d’un violent proxénète compte s’opposer à sa libération conditionnelle

Quand on l’a appelée, en juin dernier, pour l’informer que celui qui a été son proxénète pendant des années, Josué Jean, serait admissible à une libération conditionnelle en mars, Marie-Michelle Desmeules a eu l’impression que le ciel venait de lui tomber sur la tête.

« Honnêtement, c’est comme si on m’avait donné 40 coups de couteau. »

À quelques mois de l’audience de la Commission des libérations conditionnelles, où elle compte d’ailleurs se présenter pour s’opposer à la libération de Jean, Mme Desmeules a accordé une toute première entrevue à La Presse à visage découvert.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Josué Jean a été condamné en 2019 à huit ans de prison

Elle désire dénoncer les lourdeurs et les injustices qu’elle estime avoir subies lors du processus judiciaire, qui, dans son cas, a duré plus de cinq ans. « La procédure judiciaire m’a traumatisée, dit-elle. J’ai senti que j’étais sur l’autoroute et qu’on m’écrasait. »

Pendant les quatre années passées aux côtés de Jean, Marie-Michelle Desmeules a été forcée de se prostituer, et régulièrement battue. Pendant ces années avec lui, le contrôle exercé sur elle par son pimp était si total qu’elle n’avait même pas le droit d’avoir sa carte d’assurance maladie.

Dans une agression particulièrement violente, le proxénète lui a cassé des côtes et elle a perdu l’enfant qu’elle portait. En 2009, six mois après cette attaque sauvage, elle a trouvé le courage de quitter Jean. « Je me suis littéralement sauvée de mon appartement. » En 2014, « sur un coup de tête », elle décide de porter plainte contre Jean. Elle réalise alors que la police enquête déjà sur lui depuis un bon moment.

Or, il faudra près de six ans avant que Jean ait son procès et soit condamné. En 2019, Josué Jean a finalement été reconnu coupable de 14 chefs d’accusation et condamné à une peine de prison de huit ans par le juge André Perreault, de la Cour du Québec. Une peine exemplaire, pour un proxénète que le magistrat a jugé particulièrement violent, et sans remords.

Pendant ces six années, des demandes des avocats de Jean ont occasionné des délais, et il a présenté, sans succès, une requête pour faire arrêter le processus en vertu de l’arrêt Jordan, au grand dam de ses victimes.

Revivre la douleur

Pendant ce temps, Marie-Michelle Desmeules voyait sa demande d’indemnisation refusée par le programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC). La Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) a également rejeté sa demande pour faire enlever les implants mammaires démesurés que Josué Jean l’a poussée à se faire poser, et qui lui causent des problèmes majeurs au dos.

Elle a fini par obtenir du soutien psychologique au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC), un organisme qui lui a « sauvé la vie », dit-elle. L’organisme Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) l’a également épaulée tout au long du processus judiciaire.

Car pendant ces années où la justice suivait son cours, sa vie était pratiquement à l’arrêt, témoigne-t-elle avec émotion. Elle souffrait d’un choc post-traumatique grave et d’un trouble d’anxiété généralisée. Elle était en conséquence incapable d’occuper un emploi, d’avoir une vie sociale ou amoureuse.

« J’étais extrêmement souffrante. Complètement inapte. Dès que je sentais l’odeur de la cigarette ou du pot, dès que je voyais un homme de race noire ou que j’entendais de la musique rap, ça me ramenait immédiatement à ces années avec lui », raconte-t-elle.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Marie-Michelle Desmeules

Je n’étais même pas capable de sortir de chez nous, j’avais l’impression que le mot “pute” flashait dans mon front.

Marie-Michelle Desmeules

L’un des pires souvenirs que garde Mme Desmeules de ce processus judiciaire, ce sont les contre-interrogatoires menés par l’avocate de l’accusé, Isabelle Larouche, notamment à son premier témoignage lors de l’enquête préliminaire. Elle dit avoir été très peu préparée à ce témoignage, et, le jour venu, a réclamé un paravent, pour éviter de voir Josué Jean. Une demande que le tribunal a refusée. « Je pensais que j’allais faire une crise cardiaque parce que ça faisait des années que je ne l’avais pas vu. »

Deux ans après la condamnation de son ex-proxénète, Marie-Michelle Desmeules vit toujours avec les séquelles de ce que Jean lui a fait subir. Et c’est pourquoi elle ira, en mars, lire une longue lettre devant la Commission des libérations conditionnelles pour raconter aux commissaires ce qu’elle a vécu. Quitte à subir de nouveau l’épreuve de revoir son bourreau.

« Je ne crois pas à sa réhabilitation : il est proxénète depuis l’âge de 16 ans ! »

À la seule pensée que Josué Jean puisse sortir de prison, elle est terrorisée. « J’en ai encore très peur, dit-elle. C’est une peur complètement irrationnelle. Je suis encore sous son emprise : je n’arrive pas à m’en défaire.

« Je cohabite encore avec lui chaque jour. »