À travers le Canada, de trois à cinq fois plus d’autochtones que la population générale peinent à mettre assez de nourriture sur leur table. Pourtant plus saine et généralement préférée à la nourriture achetée en magasin (et souvent importée à grand coût), l’alimentation traditionnelle est trop peu souvent au menu, faute de promotion adéquate et d’écosystèmes suffisamment protégés.

C’est ce que concluent les auteurs d’une étude d’envergure menée sur une décennie portant sur l’alimentation, la nutrition et l’environnement chez les Premières Nations. Coréalisée par l’Université de Montréal, l’Université d’Ottawa et l’Assemblée des Premières Nations, elle comprend un sondage auprès de 6487 répondants, des entretiens avec 280 personnes (dirigeants autochtones, responsables de centres de santé, personnel technique, etc.) et des analyses du degré d’exposition aux polluants environnementaux par l’alimentation.

Au total, 47 % des ménages ont rapporté que leur réserve d’aliments traditionnels s’était épuisée avant qu’ils puissent s’en procurer d’autres ; 77 % voudraient servir plus souvent de ces aliments traditionnels. « En général, les aliments traditionnels sont préférés aux aliments du commerce », écrivent les chercheurs.

Les jours où des aliments traditionnels étaient consommés, l’apport de presque tous les nutriments était considérablement augmenté alors que l’apport en gras saturé était réduit.

Extrait de l’étude sur l’alimentation, la nutrition et l’environnement chez les Premières Nations

Et cela, c’est capital. Car comme le rappellent les chercheurs, le cinquième des adultes des Premières Nations souffrent de diabète, souvent lié à une obésité très répandue.

Les chercheurs mettent en relief le fait que les aliments traditionnels ne représentent aucun risque pour la consommation, à deux exceptions près non négligeables. Les grands poissons prédateurs (doré jaune, grand brochet) retrouvés dans certaines régions ont des taux de mercure élevés et certaines femmes en âge de procréer « ont des niveaux d’exposition élevés, particulièrement dans les régions nordiques de la Saskatchewan, du Manitoba, de l’Ontario et du Québec ».

Aussi, « l’utilisation de munitions contenant du plomb a mené à de très hauts taux de plomb dans plusieurs échantillons de mammifères et d’oiseaux échantillonnés. […] L’emploi d’autres types de munitions pourrait éliminer ce risque d’exposition au plomb ».

Pour ce qui est du mercure, des analyses de cheveux ont aussi été réalisées et dans toutes les régions du pays, à l’exception du Québec, la teneur en mercure était sous la limite jugée acceptable par Santé Canada.

Solutions d’« ordre systémique »

Pour que l’alimentation traditionnelle reprenne sa place au cœur des repas des Premières Nations, Malek Batal, codirecteur de l’étude et professeur au département de nutrition de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, souligne en entrevue que les solutions « doivent d’abord être d’ordre systémique » et qu’elles dépassent largement ce que les autochtones peuvent faire individuellement ou à l’échelle de leur collectivité.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Malek Batal, codirecteur de l’étude et professeur au département de nutrition de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal

Ce qui influe sur l’alimentation des autochtones relève surtout de décisions politiques, économiques et écologiques, souligne-t-il, évoquant par exemple l’impact des changements climatiques sur la souveraineté alimentaire.

Mais certaines des barrières à l’alimentation traditionnelle peuvent être amoindries par une prise de conscience et certains correctifs.

Malek Batal note par exemple qu’il y a « érosion des connaissances en matière de chasse, de pêche et de transformation des aliments ».

Pour faire sécher et fumer les aliments, il faut tout un savoir-faire. Si on ne le fait pas régulièrement, on risque de le perdre.

Malek Batal, codirecteur de l’étude

Ainsi, certaines des recommandations de l’étude vont dans le sens du transfert et de l’échange de connaissances, d’autant plus fondamentales, relève Malek Batal, que « pour les Premières Nations, l’alimentation traditionnelle revêt une importance qui va au-delà de la question nutritionnelle, elle a une valeur culturelle et spirituelle », l’aliment ayant une dimension sacrée.

Ce qui n’exclut pas les considérations très terre à terre que les chercheurs n’ont pas négligées en recommandant par exemple l’accès à des congélateurs communautaires et des subventions spécifiques qui soutiendraient par exemple « la récolte, la culture, le partage et la conservation des aliments traditionnels ».

« Des campagnes de sensibilisation menées par des autochtones, avec leurs propres valeurs, devraient par ailleurs promouvoir l’importance de se fier aux aliments traditionnels comme source de nourriture saine […]. »

Et l’eau ?

L’étude met également en relief à quel point l’eau est problématique dans les communautés autochtones. Sur les 6487 participants à l’étude, plus du quart disaient éviter de boire l’eau du robinet à cause du goût ou de l’apparence de l’eau.

Même quand la qualité de l’eau potable est satisfaisante, « le goût et la couleur de l’eau sont deux facteurs qui en limitent la consommation », peut-on lire.

En plus de se pencher sur les contaminants dans l’alimentation traditionnelle, l’Étude sur l’alimentation, la nutrition et l’environnement chez les Premières Nations a aussi colligé des données sur les types et la quantité de métaux dans l’eau de consommation à domicile, de même que sur les produits pharmaceutiques dans l’eau de surface.

« Certaines collectivités des Premières Nations doivent continuer à laisser couler l’eau du robinet avant de s’en servir afin de réduire les niveaux de plomb, rappellent les auteurs. Les tuyaux de plomb doivent être remplacés dans les logements aux prises avec de hauts taux de plomb dans l’eau potable. »

Autre problème fondamental : 35 produits pharmaceutiques ont été trouvés dans les eaux de surface de 83 % des collectivités (432 échantillons prélevés, 302 points d’échantillonnage).

39

Nombre de grammes d’aliments traditionnels consommés en moyenne quotidiennement chez les répondants autochtones de l’étude, l’équivalent de deux cuillérées à soupe et demie

2 fois plus

Proportion d’autochtones qui souffrent de diabète par rapport à la moyenne nationale

Source : Étude sur l’alimentation, la nutrition et l’environnement chez les Premières Nations