La famille de Raphaël André, sans-abri innu de Matimekush-Lac John mort dans une toilette chimique l’hiver dernier, lance un dernier cri du cœur à la Ville de Montréal et au gouvernement pour que la tente érigée en l’honneur du défunt demeure en place.

Réunis en cercle au square Cabot, à l’angle de l’avenue Atwater et de la rue Sainte-Catherine, quelques Mohawks sont venus présenter leurs condoléances à la famille de Raphaël Napa André. On reconnaît leurs habits traditionnels ornés de rubans colorés, alors que les dignitaires et les proches innus du regretté Napa ont des tenues fleuries agencées à des jupes multicolores.

« Un moment très lourd nous unit ici. On a perdu une bonne âme, parce qu’il n’avait nulle part où aller », laisse tomber Charlie Patton, l’aîné de Kahnawake.

Ses paroles sont enterrées par les bruits de la construction des condos de luxe qui encercleront bientôt le quadrilatère qui abrite les plus démunis.

Ne jamais oublier

L’installation temporaire – une immense tente d’un blanc immaculé où l’on sert des repas chauds – a été aménagée au square Cabot en février dernier pour permettre aux sans-abri de se reposer et d’avoir accès à des services essentiels. Mais aussi pour ne jamais oublier que le 17 janvier au soir, Raphaël André aurait eu besoin d’un refuge. L’homme de 51 ans a été trouvé mort à quelques mètres d’un refuge au centre-ville de Montréal, dans une toilette chimique. L’endroit avait été fermé le soir à la suite des recommandations de la Santé publique.

Je demeure convaincu au plus profond de mon cœur que mon fils serait ici avec nous si la tente avait existé.

Daniel André, père du défunt, dans un chuchotement serein

La fin brutale et humiliante de Napa suscite toujours l’incompréhension chez sa mère. Elle ne comprend pas pourquoi, lors d’une nuit froide, une toilette chimique a été l’unique recours de son fils. « Il m’appelait chaque jour. Puis je n’ai pas eu de ses nouvelles pendant trois jours. J’ai su que quelque chose ne tournait pas rond », soupire Suzanne Chemaganish, son visage ridé tordu par les pleurs.

Lisez le portrait de Raphaël André

Carmen André, grande femme à la silhouette délicate, essuie quelques larmes. « Nous sommes venus de Schefferville pour visiter les endroits où mon frère logeait. Chaque sans-abri me rappelle mon frère. »

Elle pensait que la tente allait être un lieu triste et moribond. Elle a trouvé un chapiteau lumineux où les gens retrouvent leur dignité.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Carmen André, sœur de Raphaël et porte-parole de la famille André

La Ville de Montréal a annoncé qu’elle comptait démanteler l’installation dans les prochaines semaines. La famille peine à comprendre.

Lisez la chronique d'Isabelle Hachey en visite à l'installation du square Cabot en avril dernier

« Cette mort tragique, il fallait que ça arrive pour qu’on ouvre nos yeux. Les gens comme mon frère sont des humains comme nous qui cherchent juste un endroit pour passer la nuit. Pourquoi briser quelque chose qui est une belle preuve d’humanité ? », plaide Carmen André.

Les pensionnats

« On ne peut s’offenser des dépouilles près des pensionnats au Canada tout en démantelant un endroit au Québec qui abrite les plus démunis de nos communautés ou ceux qui choisissent une vie de nomade. On les abandonne », estime Jean-Charles Pietacho, chef du Conseil des Innus d’Ekuanitshit et chef porteur du dossier de l’itinérance nomade pour la Nation innue.

Il exige des services permanents et adaptés à la culture des sans-abri autochtones. Il connaît la problématique : sa fille Mélissa, 38 ans, vit dans les rues d’Ottawa.

Joyce Echaquan nous a ouvert les yeux sur le système de santé. Raphaël André, sur la réalité dans la rue. Et maintenant, les atroces constats sur les pensionnats confirment ce qu’on dit depuis des années. On est capables d’avoir ces conversations en ce moment.

Jean-Charles Pietacho, chef du Conseil des Innus d’Ekuanitshit et chef porteur du dossier de l’itinérance nomade pour la Nation innue

Mais à quoi bon enchaîner les poignées de mains et lire la pitié dans le regard des autres élus pour se faire enlever une installation comme la tente ? se demande le chef. « On veut plus que des excuses. Ceux qui ont le pouvoir d’aider et de décider, c’est maintenant le temps de nous démontrer vos préoccupations. »

Présent pour l’occasion, le député de Bourget, Richard Campeau, s’est dit sensible à la cause portée par la famille de Raphaël André. Le député caquiste a exprimé ses préoccupations au sujet des sombres découvertes à Kamloops, en Colombie-Britannique, et en Saskatchewan. « J’espère qu’on ne fera pas de telles découvertes au Québec. Ce serait malheureux. »