(Québec) Québec rendra obligatoire une formation sur la culture autochtone pour tout le personnel du réseau de la santé, à commencer par l’hôpital de Joliette, où est morte Joyce Echaquan. Mais le chemin pour rebâtir des ponts sera long, prévient le chef de Manawan, qui réclame le départ du grand patron du CISSS de Lanaudière.

« L’annonce, je l’accueille. C’est un bon premier pas […], mais on a encore un long chemin à faire », a indiqué le chef Paul-Émile Ottawa en entrevue.

Un peu plus tôt vendredi, le gouvernement Legault a annoncé l’investissement de 15 millions pour la mise sur pied d’une formation culturelle sur la réalité autochtone, l’embauche d’agents de liaison et la création de postes de « navigateur de services » pour accompagner les membres des Premières Nations à travers le réseau de la santé. Ces postes seront réservés aux autochtones.

Cette série de nouvelles mesures a pour objectif d’accroître le sentiment de sécurité des autochtones envers les services publics de santé. On parle du concept appelé « sécurisation culturelle ». Le rapport de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics (la commission Viens), en recommande d’ailleurs l’application.

« Il faut que [les autochtones] se sentent chez eux », a martelé le ministre de la Santé, Christian Dubé. Lui et le nouveau ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, ont assuré qu’il s’agit « d’un premier geste » pour rétablir la confiance des Premières Nations et Inuits envers le système de santé.

Ce n’est pas une chose que nous allons réaliser en une semaine, nous savons que c’est un processus qui sera long, qu’il y aura des moments difficiles.

Ian Lafrenière, ministre responsable des Affaires autochtones

M. Dubé ne cache pas qu’il aimerait que la formation, qui sera développée avec l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et les Atikamekw, soit déployée en priorité à l’hôpital de Joliette, où Joyce Echaquan, mère de famille de Manawan, est morte sous les insultes racistes du personnel infirmier, le 28 septembre dernier. Sa mort a provoqué une vague d’indignation et secoué tout le Québec.

Remplacement demandé

Mais il y a une ombre au tableau : les Atikamekw de Manawan ne font plus confiance au PDG du CISSS de Lanaudière, Daniel Castonguay, depuis qu’il a affirmé à La Presse qu’il n’avait pas été mis au courant de plaintes d’autochtones visant l’hôpital de Joliette, ce qui a été contredit par une employée. Le premier ministre François Legault s’est dit la semaine dernière « achalé » par ces propos.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Paul-Émile Ottawa

Je pense que la véritable sécurisation culturelle doit s’articuler autour des gens qui respectent et comprennent la culture des Atikamekw. Et l’actuel PDG, Daniel Castonguay, ne fait plus, malheureusement, partie des gens de ce groupe.

Paul-Émile Ottawa, chef de Manawan

Le chef de Manawan indique avoir demandé au ministre de la Santé que M. Castonguay soit remplacé.

« Nous sommes conscients des difficultés actuelles qui s’observent entre la communauté de Manawan et le CISSS de Lanaudière », a fait valoir à ce sujet le cabinet de M. Dubé.

« Nous croyons qu’il est nécessaire de poser des gestes qui permettront de retrouver le climat de confiance et l’annonce [de vendredi] en est la démonstration. »

Le chef Ottawa estime que le déploiement de ces nouvelles mesures « sera extrêmement difficile » dans ce contexte. Il dit maintenant attendre de voir « comment le gouvernement va se positionner » pour la suite et sur « le principe de Joyce », un plan sur lequel table la communauté pour « garantir le droit au respect, à la dignité et à la qualité des services » pour les Premières Nations. Ce plan doit être prêt d’ici le mois prochain.

Dans un courriel, la direction du CISSS de Lanaudière s’est, pour sa part, dite très heureuse de ces annonces « qui sont positives » et qu’elle s’engage à mettre en place rapidement. L’établissement souligne que « les liens pour impliquer la communauté atikamekw » dans la formation ont été faits.

La somme de 15 millions sera puisée dans le budget de 200 millions versés en mars dernier pour réaliser les « appels à l’action » du rapport de la commission Viens, déposé il y a un an.

Ce qu’ils ont dit :

La volonté politique manifestée par le gouvernement aujourd’hui doit pouvoir se traduire par des gestes concrets dans la prestation des services dans tous les établissements du réseau de la santé et des services sociaux.

Ghislain Picard, chef de l’APNQL

C’est un pas dans la bonne direction, toutefois les recommandations de la consultation publique sur le principe de Joyce initié par le Conseil des Atikamekw de Manawan seront déposées dans les prochains jours. Il reste beaucoup de travail à faire pour rétablir les liens de confiance.

Gregory Kelley, Parti libéral du Québec

Il y a urgence d’agir pour que le racisme systémique cesse de faire des victimes. Des cibles claires et un échéancier ambitieux doivent être privilégiés, ainsi qu’un mécanisme pour évaluer leur atteinte.

Manon Massé, porte-parole de Québec solidaire

On a déposé, dans la foulée des événements tragiques impliquant Mme Joyce Echaquan, une motion pour reconnaître ce principe de la sécurisation culturelle, qui est fondamental en matière de santé et services sociaux. On demande qu’il soit enchâssé dans la loi comme le recommande le rapport Viens.

Véronique Hivon, Parti québécois