« Je mettrais au défi le gouvernement du Québec et les Blancs au Québec de commencer à avoir ces conversations honnêtes et difficiles sur ce à quoi le racisme ressemble. Parce que je vous assure que ça existe partout. »

C’est ce que m’a répondu Patrisse Cullors, cofondatrice du mouvement Black Lives Matter, lorsque je lui ai demandé ce qu’elle avait à dire au gouvernement du Québec, qui refuse de reconnaître l’existence du racisme systémique chez nous, et à tous ceux qui croient qu’il s’agit d’un problème américain.

PHOTO FOURNIE PAR C2 MONTRÉAL

Patrisse Cullors, cofondatrice de Black Lives Matter

Si le mouvement antiraciste Black Lives Matter est né aux États-Unis en 2013, ce serait jouer à l’autruche que de penser que les injustices contre lesquelles il lutte sont une exclusivité américaine, a répliqué l’artiste et militante de Los Angeles qui, en conversation avec Fabrice Vil, participait lundi matin à la conférence d’ouverture virtuelle de C2 Montréal portant sur la résilience.

Ce discours de déni n’est pas propre au Québec ou au Canada. C’est une forme de « détournement » répandue dans plusieurs sociétés occidentales, constate Patrisse Cullors. Au Royaume-Uni, par exemple, des chefs d’antenne blancs lui ont souvent dit : « Ne croyez-vous pas que c’est idiot que des Noirs au Royaume-Uni comparent leur situation à celle de personnes noires aux États-Unis ? Comment osent-ils ? »

« Non, ce n’est pas idiot », leur répond Patrisse Cullors en leur donnant des exemples de graves injustices qui existent aussi chez eux, qu’il s’agisse de la surreprésentation des Noirs qui meurent en détention ou des enjeux liés au taux de mortalité maternelle des femmes noires. Au Canada, elle pourrait citer les multiples exemples de racisme systémique recensés dans le percutant essai NoirEs sous surveillance. Esclavage, répression, violence d’État au Canada (Mémoire d’encrier), de Robyn Maynard, qui déconstruit l’image multiculturelle et inclusive du pays.

Le plus souvent, ce genre de réponse est suivi d’un silence. Parce qu’ici comme ailleurs, on aime bien se faire croire que le racisme systémique est un virus américain contre lequel nous serions immunisés.

On se dit que c’est quand même « moins pire » ici. Comme s’il y avait une quelconque gloire à se satisfaire d’un « moins pire » qui mine injustement la vie de trop de gens.

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Le mouvement Black Lives Matter est né le 13 juillet 2013, à la suite de l’acquittement de George Zimmerman, accusé du meurtre de Trayvon Martin, un adolescent afro-américain de 17 ans, abattu alors qu’il marchait dans la rue sans arme, à Sanford, en Floride. Zimmerman avait plaidé la légitime défense.

L’indignation provoquée par cette injustice fut l’électrochoc qui a poussé trois femmes noires — Patrisse Cullors, Alicia Garza et Opal Tometi — à lancer le mouvement. C’est Patrisse Cullors qui a ajouté un croisillon (#) au slogan « Black lives matter » et en a popularisé le mot-clic sur Twitter.

Sept ans plus tard, dans la foulée de l’atroce mort en direct de George Floyd, asphyxié sous le genou d’un policier, le mouvement est plus galvanisé que jamais. Ses fondatrices se sont retrouvées récemment dans le palmarès des 100 personnes les plus influentes de 2020 du magazine Time. À la veille de l’élection présidentielle, le poids politique du mouvement, qui mène une vaste campagne pour inciter la population afro-américaine à aller voter, est indéniable.

> Lisez l’article du Time (en anglais)

Évidemment, chaque pays a sa propre histoire, ses propres enjeux et un contexte sociopolitique différent. La situation qui a cours dans un pays où le président refuse de condamner le suprémacisme blanc n’est pas la même qu’ici, ça va de soi. Même au sein des États-Unis, les combats diffèrent d’une ville à l’autre. Black Lives Matter se garde bien de dicter à ses membres de différentes communautés la stratégie antiraciste à adopter. Mais le fondement de la lutte contre le racisme reste le même.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation du mouvement Black Lives Matter, le 7 juin à Montréal

« Nous n’avons jamais tenté d’être un mouvement de lutte pour les droits civiques pour les États-Unis seulement. Dès le début, lorsque Alicia, Opal et moi avons créé Black Lives Matter, nous le concevions comme un mouvement international, mondial. Parce que la suprématie blanche est un phénomène mondial, l’antiracisme est aussi un phénomène mondial. Nous avons compris que nous devions aller au-delà des frontières américaines. »

À ceux qui opposent à « Black lives matter » le slogan « All lives matter », la cofondatrice du mouvement rappelle qu’il s’agit d’une fausse opposition. « Nous n’avons jamais nié l’idée que toutes les vies comptent. Lorsque les gens entendent dire que la vie des Noirs compte, parfois, ils ont l’impression que l’on exclut d’autres groupes. Mais ce n’est pas le cas. »

Nous avons créé Black Lives Matter parce que nous étions exclus et nous avions besoin d’un lieu pour savoir ce que nous voulions pour notre communauté.

Patrisse Cullors, cofondatrice de Black Lives Matter

Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que, en fin de compte, la lutte contre les inégalités raciales est bénéfique pour toute la société, a rappelé Patrisse Cullors. « Nous croyons fermement que lorsque la vie des Noirs comptera vraiment, toutes les vies compteront alors vraiment. »

Encore faut-il commencer par admettre l’existence du problème. Oser avoir cette conversation honnête et difficile. Car, pour reprendre encore les mots si justes de James Baldwin : « On ne peut changer tout ce qu’on affronte, mais rien ne peut changer tant qu’on ne l’affronte pas. »