« Lichi Mwa Lku », « Bonne petite noune », « Viet Kong » : les noms sur le menu du restaurant Pho King Bon font jaser, et pas qu’à l’Office québécois de la langue française (OQLF). De nombreux membres de la communauté vietnamienne reprochent au bistro d’utiliser leur culture et leur langue de façon dégradante, alors qu’une pétition demandant la modification du menu a rassemblé plus de 6000 signatures. Le propriétaire a présenté ses excuses lundi.

« Plusieurs personnes de la communauté vietnamienne se sont senties visées et insultées par nos jeux de mots. Quoique nos intentions initiales n’ont jamais été de blesser qui que ce soit, nous reconnaissons aujourd’hui que certains jeux de mots ont pu être offensants pour cette communauté. Certaines modifications seront apportées au menu compte tenu des préoccupations et des conseils de la communauté vietnamienne », a déclaré par communiqué Guillaume Boutin, copropriétaire du Pho King Bon, peu après avoir été joint par La Presse.

Annette Nguyen a sourcillé quand elle a remarqué le terme « Bonne petite noune » en parcourant en ligne le menu du restaurant vietnamien de Rosemère. On fait ici référence au Bún thịt nướng, plat très répandu au Viêtnam. Cette blague ne fait pas rire la Montréalaise de 33 ans, d’autant plus que la prononciation suggérée sur le menu est inexacte.

« C’est un mélange de racisme et de sexisme. C’est vulgaire et de mauvais goût », déplore-t-elle. Le tout encourage les gens à se moquer de sa langue, explique l’avocate et femme d’affaires.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Annette Nguyen

Il n’y a aucun problème qu’un non-Vietnamien fasse de la cuisine vietnamienne, mais il y a beaucoup de mauvaise foi là-dedans. C’est un plan marketing où on veut provoquer le rire au détriment de la culture vietnamienne.

Annette Nguyen

Le shooter « Viet Kong » offert au restaurant a offensé Danny Le Kim, un Québécois de 25 ans né de parents vietnamiens qui ont fui leur contrée. Le terme péjoratif désigne les Vietnamiens qui se sont battus du côté des communistes pendant la guerre du Viêtnam, de 1955 à 1975. L’expression ravive le douloureux souvenir des atrocités de la guerre.

« C’est irrespectueux, d’autant plus que plusieurs Vietnamiens au Québec sont des réfugiés. Si j’ouvrais un restaurant demain matin, je n’appellerais pas mon cocktail vedette “Lac-Mégantic”, “Polytechnique” ou “Nazi”. Je ne prendrais pas des éléments historiques choquants juste pour faire des jeux de mots plates. »

Il n’est pas question d’appropriation culturelle, mais bien de respecter la culture qu’on veut promouvoir en ouvrant un tel établissement, ajoute le jeune homme.

« On aimerait que le proprio utilise cette opportunité pour en apprendre plus sur l’histoire du Viêtnam », explique sa copine Queenie Bui, qui trouve plusieurs jeux de mots dégradants envers les femmes.

« En plus, le propriétaire joue dans les stéréotypes vietnamiens avec la distribution de chapeaux. On prétend rendre hommage, mais ce n’est pas le cas » ajoute Minh Dang-Nguyen, un autre membre de la communauté vietnamienne.

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Danny Le Kim et Queenie Bui

Pour Julie Tran, bachelière en sexologie et candidate à la maîtrise en service social, le restaurant – volontairement ou pas – renforce les stéréotypes sexuels visant les femmes asiatiques. Elle fait d’ailleurs partie des 6733 personnes qui ont signé la pétition demandant au propriétaire de modifier son menu.

Des changements à prévoir

Guillaume Boutin s’engage à changer certains noms, comme ceux de la boisson « Viet Kong » ainsi que du plat « Bonne petite noune. » Le combo Pho King Deal sera également remplacé.

« Les changements seront apportés d’ici une semaine ou deux en fonction du délai des graphistes et imprimeurs. Nous modifierons notre appellation. Nous serons désormais un “bistro fusion” au lieu d’un “bistro vietnamien.” »

Il dénonce toutefois une campagne de salissage de son restaurant.

On a fait des erreurs. Le shooter Viet Kong, on l’a échappé, on a mal fait nos recherches. Mais de nous mettre sur la place publique comme ça, c’est exagéré.

Guillaume Boutin, copropriétaire du Pho King Bon, en entrevue téléphonique

Certaines blagues du menu n’ont rien à voir avec la culture vietnamienne, affirme M. Boutin, qui ajoute avoir visité ce pays une vingtaine de fois.

« Je suis prêt à reconnaître mes torts, mais en même temps, il y a des gens qui veulent détruire la réputation du resto en nous donnant des mauvaises critiques sur le Net, ça devient exagéré. »

Son établissement a récemment fait la manchette après la visite d’un inspecteur de l’OQLF venant vérifier si les jeux de mots de nature sexuelle – comme « Flash Thé Saint » et « Lichi Mwa Lku » – et les anglicismes – la soupe « Phokit » (« Fuck it ») – choisis par les propriétaires respectent la loi.

« Même par rapport à la langue française, on se fait huer. Pourtant, il y a un paquet d’autres restos qui ont des noms anglais. Là, on s’attaque à une entreprise du Québec en pleine pandémie. »