Le premier hic avec l’ouvrage que s’apprête à lancer Valérie Plante sur son expérience en politique municipale, c’est la forme. C’est le choix de la bande dessinée qui ne passe pas.

Si, aux yeux des supporteurs de la mairesse, cette idée est « trop cool », aux yeux du reste de la population, elle suscite la perplexité. Ou l’inquiétude.

Même si on peut aborder des sujets très sérieux dans les BD, reste que pour une large part du public, cette approche est synonyme d’illustrations, de bulles et de ludisme.

Dissipons immédiatement le malentendu que certains colportent. Valérie Plante a rédigé les textes de cette bande dessinée qui a pour titre Simone Simoneau – Chronique d’une femme en politique. C’est Delphie Côté-Lacroix qui a réalisé les illustrations.

IMAGE TIRÉE DU SITE INTERNET DE DELPHIE CÔTÉ-LACROIX

Extrait de la bande dessinée Simone Simoneau – Chronique d’une femme en politique, coscénarisée avec la mairesse de Montréal, Valérie Plante

Ma collègue Josée Lapointe a écrit mardi dans La Presse que c’était Valérie Plante qui avait pris contact avec la jeune illustratrice afin de lancer ce projet, qui sera dévoilé au public le 14 octobre prochain. Quant à Tristan Malavoy, directeur de la collection Quai no 5 (Éditions XYZ), il s’est empressé de souligner que le travail de préparation s’était fait « en dehors des heures de bureau ».

L’autre aspect est la question du temps. Depuis quelques jours, sur les réseaux sociaux, on peut lire plusieurs variantes de « Quoi ? La mairesse de Montréal trouve le temps de faire une BD ? »

Valérie Plante, à l’instar de ses prédécesseurs, a un agenda fort chargé. Elle m’en a déjà parlé en entrevue. En plus de ses journées à l’hôtel de ville, ses soirées et ses fins de semaine sont en grande partie composées de réunions et d’engagements de toutes sortes.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Valérie Plante, mairesse de Montréal

La mairesse a tout à fait le droit d’avoir des moments de loisir et de détente. J’espère même qu’elle réussit à en trouver suffisamment pour se maintenir en santé. Mais qu’elle n’ait pas songé aux armes qu’elle offrait à ses détracteurs en lançant ce projet montre la faiblesse de son instinct politique.

« Excusez-moi, je n’ai pas le temps de faire des BD, moi. J’ai des trucs plus importants à régler. » Cette phrase-là, Valérie Plante n’a pas fini de l’entendre.

Que Valérie Plante, trois ans après avoir été élue mairesse, raconte son expérience en politique, ça passe. D’autres l’ont fait avant elle (la plupart l’ont toutefois fait après avoir quitté la politique). Mais qu’elle lance cette bande dessinée alors que les Montréalais traversent une période très difficile est absolument ahurissant. Quel manque de jugement de la part de ses conseillers !

Je suis renversé de voir que personne dans son entourage n’a osé lui dire qu’il valait mieux reporter le lancement à l’année prochaine.

La ville est sens dessus dessous, les Montréalais se promènent avec des masques dans le métro, le problème de l’itinérance est devenu énorme, on se dirige vers un gros déficit et c’est ce moment-là que la chef de la ville choisit pour lancer une bande dessinée racontant son parcours.

Étudiants en relations publiques et en marketing de l’image, vous avez un mautadit beau cas devant vous pour la rentrée !

Alors que Valérie Plante devrait employer les prochains mois à rassurer les Montréalais et à montrer qu’elle possède le leadership nécessaire pour diriger la métropole, elle lance une BD dans laquelle elle présente son idéologie (j’ai lu les six planches publiées sur le site de XYZ).

Une fois de plus, Valérie Plante évite la clarté. C’est dommage, car les citoyens méritent mieux qu’une mairesse qui s’exprime dans des bulles.

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Parlant de clarté, il est fascinant de lire ces jours-ci les reportages entourant la stratégie des maires écologistes en France. Élus lors des dernières élections municipales de mars et de juin derniers (pandémie oblige), les maires verts font front commun pour promouvoir une politique dérangeante, mais inspirante.

Quelques semaines après leur entrée en fonction, ces élus qui ont réussi à s’emparer de villes françaises importantes (Bordeaux, Strasbourg, Tours, Lyon, Besançon, Annecy, Grenoble) profitent des Journées d’été des écologistes (qui ont lieu depuis jeudi) pour faire connaître les mesures qu’ils entendent défendre au cours des six prochaines années.

Cette vague verte « sans précédent », on la doit en partie à Éric Piolle, maire de Grenoble et membre d’Europe Écologie Les Verts (EELV). Ce militant a, en quelque sorte, tracé le chemin pour ces nouveaux maires. Piolle ne cache pas ses ambitions (dans un rôle à déterminer) en vue de la présidentielle de 2022.

Bien sûr que les premières décisions prises par ces maires ne font pas l’unanimité. À Tours, l’interdiction des voitures sur le pont Wilson qui enjambe la Loire en fait râler plus d’un. « Ça fait grincer des dents, a reconnu le maire Emmanuel Denis. Forcément, c’est le vieux monde qui résiste. »

Ça râle aussi à Lyon, où la Ville a adopté l’« écriture inclusive » dans ses communications. À Bordeaux, une déclaration du maire annonçant que les villes se dirigeaient vers une interdiction des voitures a suscité une levée de boucliers.

Il est intéressant d’établir des parallèles entre les réactions des citoyens français et les nôtres. Mais surtout, je retiens de tout cela la synergie (le système politique français n’a rien à voir avec le nôtre) qui se dégage de ce mouvement. Cela donne l’impression que les politiques préconisées auront un impact réel.

On verra à quoi ressembleront les prochains mois (ces maires, certains sans expérience, sont très occupés à gérer les mesures sanitaires dans leur ville), mais le sentiment d’une vision claire et franche qui amène les gens à marcher dans la même direction semble se préciser.

Cette direction claire et franche, c’est exactement ce que j’ai du mal à retrouver en ce moment à Montréal. Faudra que j’attende de lire la BD de Mme Plante.

> Découvrez les premières planches de Simone Simoneau – Chronique d’une femme en politique