Il écrit des scénarios de comédies à succès depuis 25 ans, et il en réalise depuis bientôt deux décennies. Menteur, son plus récent long métrage, trône au sommet du box-office de l’année et s’ajoute ainsi à une liste de huit autres films qui ont fait le plein de spectateurs au fil des ans, au point d’avoir franchi le cap des 30 millions de dollars de recettes en tout, du jamais-vu chez nous. Cette constance dans le divertissement de qualité fait assurément d’Émile Gaudreault, notre personnalité de l’année dans le domaine des arts, le cinéaste le plus apprécié du public québécois.

De nature modeste, celui que nous avons d’abord pu découvrir il y a 30 ans dans le Groupe Sanguin, alors qu’il partageait la scène avec Marie-Lise Pilote, Dany Turcotte, Dominique Lévesque et Bernard Vandal, est à la fois surpris et flatté de cet honneur. « Habituellement, ça se passe plus directement avec le public, commente-t-il. C’est vraiment le fun ! » Entendez par là que le cinéaste, très perfectionniste, arpente les arcanes d’un genre — la comédie populaire — qu’encensent rarement les professionnels et les critiques. Même si ses films gagnent peu de prix et ne font pas la tournée des grands festivals internationaux, Émile Gaudreault assume parfaitement ses choix, d’autant qu’il est pratiquement le seul au Québec — avec Ricardo Trogi — à occuper un créneau dans lequel il a acquis une grande expertise.

« Il est vrai que les comédies ne sont pas toujours considérées comme étant du cinéma “pur et dur”, observe-t-il. J’entends même parfois des gens dire que puisqu’il est impossible de faire un profit avec un film au Québec, même en ayant du succès, les institutions ne devraient plus en financer ! » 

Je trouve ce discours dangereux. Une résonance, c’est profitable pour un peuple. Si quelque chose passionne les Québécois, peu importe la nature de l’œuvre, je trouve ça hyper rentable socialement, parce que l’âme d’un peuple se nourrit de ce qui s’inscrit dans sa mémoire collective.

Émile Gaudreault 

« Sans œuvres populaires, poursuit-il, la population ne se voit pas représentée à l’écran et ne se retrouve plus dans ce qu’elle regarde. Ça aussi, ça entraîne de la pauvreté ! »

Émile Gaudreault ne met pas une croix sur le fantasme cannois ou hollywoodien (« on ne peut pas y être insensible », dit-il), mais il ne compte pas écrire et réaliser avec ce but précis en tête, car dans ces cas-là, le résultat est rarement à la hauteur des intentions. L’essentiel pour lui est de raconter la meilleure histoire, de la meilleure façon possible.

« J’ai un immense respect du storytelling, explique-t-il. Quand j’écris, la chose la plus importante est de bien saisir l’histoire que je suis en train de raconter, au-delà même de mes points de vue personnels. Mes films n’étant pas des pamphlets, je vais me permettre d’insérer des éléments plus militants seulement si ça sert bien l’histoire. Le storytelling de Parasite [Bong Joon-ho], qui a obtenu la Palme d’or à Cannes et qui est la meilleure chose que j’ai vue depuis longtemps, est un bon exemple. Il est passionnant parce qu’il est à la fois dense et très cohérent. »

Fidèle à la productrice Denise Robert depuis Nuit de noces, son premier long métrage à titre de scénariste et réalisateur, Émile Gaudreault n’hésite pas à prendre parfois la plume pour rappeler l’importance qu’occupe la culture dans une société comme la nôtre. Il y a deux ans, il dénonçait le sous-financement chronique du milieu des arts en faisant valoir la créativité en tant que matière première, comme une ressource naturelle pour un peuple. Il déplore aussi un système qui, au fédéral, établit les mêmes normes pour deux entités culturelles complètement différentes, un peu comme si, soutient-il, des politiques culturelles communes étaient mises en place à la fois pour les États-Unis et la Norvège.

Je trouve ça très dangereux pour le Québec parce que notre situation est tellement différente de celle du Canada anglais. Or, nous devons suivre des politiques qui, bien souvent, sont faites à Toronto dans un contexte qui n’a rien à voir avec le nôtre.

Émile Gaudreault 

Plus récemment, sa lettre ouverte destinée à Steven Guilbeault, nouveau ministre du Patrimoine, a aussi beaucoup fait réagir. « Quand Steven Guilbeault a été nommé, j’ai reçu plein d’appels de gens qui me disaient à quel point ça n’avait pas de sens. Ça m’a poussé à réfléchir. Parce que ce gars-là a quand même une drive et j’estime qu’on doit lui laisser sa chance. »

Ayant toujours plus d’affinités avec le milieu de l’humour qu’avec celui du cinéma, Émile Gaudreault compte maintenant, à 55 ans, poursuivre son œuvre de cinéaste (il coréalisera bientôt avec Catherine Chabot l’adaptation cinématographique de la pièce Lignes de fuite), mais il aimerait aussi faire valoir son talent à travers des projets dont il ne signerait pas obligatoirement la réalisation. Une série d’horreur, qu’il est en train d’écrire avec Éric K. Boulianne (Menteur, Les Barbares de La Malbaie) pourrait en outre être bientôt mise sur pied.

Et le succès, on s’y habitue ? La pression qui en découle aussi ?

« Tout le monde connaît mes films, mais peu de gens me connaissent, et c’est très bien ainsi, observe-t-il. Le succès pour moi est donc furtif et presque toujours positif. Il n’ajoute pas de pression, au contraire, il la diminue. Cette pression vient toujours de moi et provient clairement de la peur d’échouer. C’est surtout motivant, de moins en moins pénible, car j’ai eu un bon psychologue ! »