Un comité du Sénat exhorte le gouvernement Trudeau à refaire ses devoirs - et de manière urgente - dans le dossier de l'aide aux médias.

Dans un rapport dévoilé hier, le comité des finances de la Chambre haute craint que les mesures d'aide à la presse écrite n'arrivent trop tard pour éviter la fermeture d'autres quotidiens. Alors que la crise est profonde, les journaux admissibles aux mesures d'aide pourraient en effet recevoir les fonds promis seulement à la fin de 2020 ou au début de 2021.

Selon les membres du comité sénatorial, la structure même du programme d'aide annoncé dans le dernier budget du ministre des Finances du Canada, Bill Morneau, est « problématique ».

« Les témoins entendus se disent satisfaits de l'enveloppe d'aide de 595 millions sur cinq ans, mais doutent que les fonds réservés aux mesures fiscales destinées aux contribuables qui soutiennent la presse [235 millions pour les crédits d'impôt pour les dons et les crédits d'impôt pour les abonnements numériques] ne soient réellement utilisés d'ici cinq ans », affirment la majorité des sénateurs du comité.

Étant donné « l'ampleur de la crise qui secoue le journalisme écrit et l'urgence d'insuffler un peu d'oxygène à l'industrie », le comité sénatorial presse le ministre des Finances d'envisager d'autres mesures, sans pour autant augmenter le montant total de l'enveloppe. Surtout, il l'implore de mettre le programme d'aide en oeuvre le plus rapidement possible.

Plusieurs mesures proposées

Le comité propose notamment d'augmenter le plafond salarial admissible au crédit d'impôt et le pourcentage des crédits d'impôt sur la masse salariale. Dans son budget, le gouvernement Trudeau a proposé un crédit d'impôt sur la masse salariale remboursable de 25 %, assujetti à un plafond de 55 000 $. Mais cela signifie que le crédit maximum annuel serait de 13 750 $ par employé d'une entreprise de presse écrite.

Les sénateurs exhortent aussi le gouvernement Trudeau à « envoyer un signal clair à l'industrie en s'engageant à corriger l'iniquité fiscale, réglementaire et structurelle, qui avantage indûment les plateformes étrangères de diffusion de contenu ».

Enfin, le comité du Sénat demande au gouvernement de s'assurer que les avis publics diffusés par les différents ministères et les institutions du gouvernement fédéral soient obligatoirement publiés dans les médias locaux.

Le député du Nouveau Parti démocratique Pierre Nantel, qui mène une croisade sans relâche à la Chambre des communes pour défendre la pérennité de la presse écrite, « un pilier de notre démocratie », a salué le rapport sénatorial. Il a invité le gouvernement libéral à mettre le pied sur l'accélérateur pour faire les changements qui s'imposent et mettre en oeuvre le programme d'aide.

« Les libéraux dorment au gaz encore une fois. Il faut qu'ils se réveillent. Ça n'a pas bon sens », a-t-il lancé sur un ton sans appel, en ajoutant que les recommandations du comité du Sénat étaient « très raisonnables ».

Appui rétroactif

Le bureau du ministre Morneau a transmis toute demande de commentaire au bureau du ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme, Pablo Rodriguez. Celui-ci a réagi ainsi : « C'est vrai qu'il y a une crise, c'est vrai que c'est maintenant qu'on doit agir. L'appui financier va être prêt rapidement et sera rétroactif jusqu'à janvier 2019 », a dit le ministre dans un courriel à La Presse

« Les conservateurs de Harper ont traité les journalistes comme des ennemis et ils continuent de tout faire pour bloquer cette aide financière. Il faut qu'ils arrêtent leurs jeux politiques, l'avenir des médias en dépend. »

– Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, par courriel

La présidente de la Fédération nationale des communications (FNC), Pascale Saint-Onge, a soutenu que les membres du comité des finances du Sénat avaient relevé certaines des lacunes du programme d'aide proposé par le gouvernement fédéral.

La FNC, qui a témoigné devant le comité, ne réclame pas une hausse du montant de l'aide, mais soutient qu'il faut en revoir les critères. Le crédit d'impôt sur la masse salariale devrait être fixé à 35 % et le plafond salarial, relevé à 85 000 $.

« Nous sommes d'accord avec le rapport du comité du Sénat. Cela va dans le sens de notre analyse, soit que les montants prévus pour les abonnements numériques et les dons philanthropiques ne seront pas dépensés en entier. Et il faut dire que 55 000 $ n'est pas représentatif des salaires de l'industrie », a indiqué Mme Saint-Onge.

« L'objectif du programme, d'abord et avant tout, est de soutenir un secteur gravement en crise, qui a perdu des centaines d'hebdomadaires, des dizaines de quotidiens au Canada. Il n'y a rien qui ralentit en ce moment l'érosion des revenus publicitaires, alors que le lectorat n'a jamais été autant au rendez-vous. Le lectorat est au rendez-vous. Ce sont les revenus qui sont captés par des monopoles qui n'ont aucune contrainte législative, fiscale et qui ne participent pas à la création de contenu », a-t-elle ajouté.

« Le doigt sur le bobo »

Quant à lui, le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur, a indiqué que le comité sénatorial avait mis « le doigt sur le bobo » en relevant certaines lacunes. Et il croit qu'un « rééquilibrage » est nécessaire afin de s'assurer que les mesures proposées par Ottawa soient adaptées à la réalité de l'ensemble des journaux, qu'ils évoluent dans un petit ou dans un grand marché.

« Je tiens d'abord à reconnaître que le gouvernement a bien compris la nature et l'ampleur du problème. Cela est très encourageant », a affirmé M. Levasseur.

« Mais, en ce qui concerne les détails du programme, le gouvernement a surestimé les montants nécessaires pour les crédits d'impôt pour les abonnements numériques et les dons. »

– Pierre-Elliott Levasseur, président de La Presse

« Ces montants ne seront pas entièrement utilisés, a poursuivi M. Levasseur. Il faut donc un rééquilibrage en augmentant le crédit d'impôt pour la masse salariale et en relevant le plafond salarial admissible. Cela permettrait de mieux refléter la réalité des salaires dans des marchés comme le nôtre, qui sont régis par des conventions collectives. »

Récemment, le ministre Rodriguez a annoncé qu'un groupe indépendant formé de représentants de huit associations se pencherait sur la gestion de l'aide aux médias. Le groupe doit établir les critères d'admissibilité aux nouvelles mesures fiscales.

Les huit associations sont les suivantes : Médias d'info Canada (News Media Canada), l'Association de la presse francophone, Quebec Community Newspaper Association, National Ethnic Press and Media Council of Canada, l'Association canadienne des journalistes, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Unifor et la Fédération nationale des communications.

Le Parti conservateur a dénoncé ce programme d'aide aux médias en accusant le gouvernement libéral de tenter d'acheter l'appui des médias en prévision de la prochaine campagne électorale.