Depuis que Julian Assange a fui la justice et s’est réfugié dans une ambassade, une sorte de culte de la personnalité s’est développé autour de lui.

Comme il a dévoilé des bavures de l’armée américaine et des secrets militaires américains, il a atteint un statut de héros. Plusieurs ont déchanté quand on a appris que WikiLeaks avait joué un rôle dans la divulgation de courriels internes du Parti démocrate.

Le personnage est beaucoup moins net que le suggère son image romantique de Robin des banques informatiques persécuté par la CIA.

C’est vrai, Assange a contribué à diffuser des informations de grand intérêt public. Notamment la torture à la prison américaine de Guantánamo et diverses bavures militaires aux dépens de civils en Irak et en Afghanistan.

Il n’en est pas moins un pirate informatique qui a mis en danger des agents américains, exposé des secrets militaires et nui aux opérations de renseignement et militaires.

Aucun pays au monde n’accepterait de laisser fuir des données aussi délicates. Il n’y a rien de scandaleux, donc, à ce que les Américains cherchent à le traîner en justice.

Ce qui n’a aucun sens, ce sont les peines infligées aux États-Unis pour un semblable délit. L’ex-analyste militaire Chelsea Manning, de son ancien nom Bradley, a écopé 35 ans de pénitencier pour avoir fourni des informations secrètes à Assange et WikiLeaks. Il a fallu l’intervention du président Obama pour ramener cette peine à sept ans.

Cela dit, les peines sont délirantes dans plusieurs domaines aux États-Unis – en matière de drogue notamment.

Le fait que des informations d’intérêt public aient été publiées ne peut pas faire oublier tout le reste. Ni contraindre le gouvernement à passer l’éponge.

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Hier, à part ses avocats, les plus ardents défenseurs d’Assange étaient… les Russes.

En Russie, où les assassinats de journalistes et d’opposants politiques se comptent à la douzaine, les responsables des Affaires étrangères ont dénoncé, tenez-vous bien, « une atteinte à la liberté d’informer ».

Une porte-parole du gouvernement est citée disant que « la main de la démocratie étrangle la liberté ». Car voyez-vous, « la manière dont cette interpellation s’est déroulée reflète un mépris total de la dignité humaine. Julian Assange a été persécuté, et on lui a imposé des conditions de vie inhumaines. Cette arrestation est une trahison de la liberté d’expression et du droit à l’information. C’est un coup porté aux droits des journalistes. »

Touchant, n’est-ce pas ?

La seule persécution subie par Assange, c’est lui-même qui se l’est imposée en fuyant la justice et en allant vivre dans l’ambassade d’Équateur à Londres pendant sept ans.

Il a fallu que les Équatoriens en aient marre de son comportement et appellent eux-mêmes la police !

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Ce qui est aussi fascinant dans cette affaire, c’est la légèreté avec laquelle bien des gens, des médias notamment, passent par-dessus l’enquête pour agressions sexuelles.

C’est pour ces crimes que Julian Assange était d’abord recherché. Des crimes qui se seraient déroulés en Suède. Mais bien sûr, dans sa théorie de persécution, la Suède agissait en sous-main pour la CIA…

La Suède a laissé tomber les enquêtes… mais pour des raisons de prescription (ce qui n’existe pas ici). Dans plusieurs pays européens, en effet, même des crimes graves comme l’agression sexuelle sont « prescrits » au bout d’un certain nombre d’années. Le premier cas est tombé en 2015. Trop tard, il n’y a apparemment rien à faire (on peut s’en étonner, puisque la prescription ne devrait plus courir quand une personne fuit la justice, mais bon, on n’est pas juriste suédois). Mais le deuxième cas, officiellement abandonné en 2017, ne sera prescrit qu’en 2020. L’avocate de la plaignante a donc demandé hier à la justice suédoise de reprendre l’affaire.

Ces affaires « de mœurs » sont vite balayées dans la narration médiatique. Elles font désordre dans le récit bien ordonné : homme démasque secret militaire ; militaires puissants veulent le punir ; homme persécuté se réfugie…

Pourtant, ceux qui l’ignoraient ont dû le comprendre depuis #metoo : on peut être un chef d’orchestre génial ET un agresseur ; on peut être producteur de haut vol ET violeur ; on peut être poète, danseur, animateur, etc., et… être agresseur.

Remarquez bien, Assange n’a jamais été accusé. Il est présumé innocent. Mais cette justice-là aussi, il l’a fuie, il l’a rejetée d’un revers de main. Et, comme si de rien n’était, on a aussi vite oublié ces dossiers.

Pourquoi ? Je viens de le dire : ça ne cadrait pas avec l’histoire du héros du journalisme contemporain.

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Après, Assange a été récupéré par tous ceux qui en avaient besoin, pour le meilleur ou pour autre chose. Soit pour dénoncer les militaires américains – en passant, les médias qui ont publié les informations de WikiLeaks n’ont pas été embêtés. Soit pour fournir des armes à la campagne de Trump. Soit pour contribuer à déstabiliser le système politique américain comme le voulaient les Russes. Trump, à son sujet, a été très flatteur. Maintenant, il le renie vaguement. Son secrétaire d’État, Mike Pompeo, est furieux contre Assange depuis ses années à la CIA. D’autres sont bien contents qu’il ait semé la bisbille chez les démocrates en montrant comment les pro-Clinton voulaient écarter Bernie Sanders…

Mais, quels que soient ses mérites, il ne jouit d’aucune immunité judiciaire, ni pour son piratage informatique ni pour ses affaires d’agressions sexuelles.

Il était temps de l’emmener voir un juge.