Jean-Claude Turcotte est mort mercredi à l'âge de 78 ans. Archevêque de Montréal de 1990 à 2012, il avait su gagner l'affection des médias, avant de connaître une fin de règne difficile marquée par un certain détachement, voire l'hostilité, du Québec à l'endroit de l'Église catholique.

La nouvelle a été confirmée en fin de nuit par voie de communiqué signé de l'archevêché de Montréal.

Il souffrait depuis plusieurs mois de graves complications liées au diabète et le 24 mars dernier, il avait été confié à une unité de soins palliatifs. Samedi dernier, on apprenait que la santé du chef religieux était désormais très fragile, mais que son état était stable.

Bien qu'affaibli, il avait tenu à remercier la population pour ses bontés à son égard.

L'actuel archevêque de Montréal, Christian Lépine, célébrera à 17h00, mercredi, une messe aux intentions du cardinal Turcotte à la Cathédrale Marie-Reine-du-Monde. La population est invitée à y assister.

« C'était une personne qui frappait les gens », explique Anthony Mancini, archevêque d'Halifax, qui a longtemps été le bras droit de Jean-Claude Turcotte à l'archevêché de Montréal. « Il avait toujours une tournure de phrase spéciale. Il parlait comme le peuple qu'il servait. À la messe de la canonisation du frère André, au Stade olympique en 2010, il avait dit qu'il venait de remporter la médaille d'or. Il arrivait à être drôle tout en étant sérieux. »

« Quand il entrait dans une pièce, on se retournait pour le regarder », explique Philippe Vaillancourt, qui gère le site d'actualité catholique Crayon et goupillon. « Il était très différent de son prédécesseur, Paul Grégoire, qui était effacé. Pendant un bon moment, il a été le seul cardinal électeur du Québec. On allait l'interroger, le voir en fin d'année pour les bilans. Tout a changé avec l'arrivée de Marc Ouellet à Québec, en 2002. Il y avait un profond respect et beaucoup d'admiration entre les deux hommes, mais sur la façon pastorale d'agir, ils étaient en désaccord. »

Sur ce plan, le cardinal Turcotte ressemblait davantage au cardinal Paul-Émile Léger, archevêque de Montréal de 1950 à 1967, qu'à son discret prédécesseur, Paul Grégoire. Selon Mgr Maurice Couture, ex-archevêque de Québec, le cardinal Paul Grégoire avait quasiment laissé les rênes du diocèse à Mgr Turcotte à l'époque où ce dernier était évêque auxiliaire, à la fin des années 80. « Il était une inspiration pour moi, dit Mgr Couture. Il était capable de prendre les mots du peuple. Nous avons fait deux synodes à Rome assis côte à côte, parce que nous avions été nommés la même année. Ça nous a rapprochés. »

Ce n'était pas la première fois qu'il impressionnait son patron. Dans une entrevue accordée à deux professeurs des HEC pour une étude de leadership, Jean-Claude Turcotte avait confié que le cardinal Léger l'avait pris sous son aile dès son ordination, à 23 ans en 1959. « J'ai pris mon courage à deux mains, je suis allé voir le cardinal, avait-il déclaré. Il faut croire que j'ai été éloquent parce qu'il a accepté de me nommer dans une paroisse ouvrière. » Le cardinal Léger l'avait envoyé peu après parfaire sa formation à Lille, en France, haut lieu du mouvement des prêtres-ouvriers, avant de l'envoyer au Grand Séminaire de Montréal, où il a fait la connaissance des futurs prêtres du diocèse.

Concile

« Quand je l'ai rencontré, dans les années 60, tout semblait possible », explique Jean Fortier, qui a été son bras droit après le départ de Mgr Mancini à Halifax. « On était encore 200 prêtres au Grand Séminaire. Le Concile Vatican II promettait des changements. On était dans les grands mouvements sociaux, la laïcisation des écoles, des hôpitaux, on était dans les syndicats. »

Comme aumônier des Jeunesses ouvrières catholiques, le jeune Jean-Claude Turcotte rencontre les Claude Ryan et les Gérard Pelletier, mais aussi de jeunes ouvriers d'Hochelaga-Maisonneuve. « Jusqu'à tout récemment, il rencontrait chaque mois un groupe d'une quarantaine d'anciens membres des JOC de l'est de l'île », dit le père Fortier.

C'est que Jean-Claude Turcotte ne s'est jamais départi de son vernis ouvrier, qu'il devait à un père représentant en quincaillerie qui avait lui-même hérité du métier de son père, quincaillier à l'île d'Orléans. C'est dire qu'il est issu de modestes hommes d'affaires (trois de ses oncles étaient cependant prêtres). Aux professeurs des HEC, il devait confier qu'il avait décroché un emploi d'été au magasin Morgan (le nom que portait alors l'établissement de la Compagnie de la Baie d'Husdon), alors qu'il étudiait au collège Grasset, dans le but d'y apprendre l'anglais : il avait menti à son futur patron en déclarant avoir quitté l'école et être bilingue, puis s'était arrangé avec la secrétaire francophone de ce dernier. Chez Morgan, cet été-là, il avait gagné davantage que son père.

Les années 70 ont été éprouvantes pour le clergé. « On voyait les gens qui cessaient d'aller à la messe, les prêtres qui défroquaient parce qu'ils désespéraient de changer l'Église, dit le père Fortier. On voulait parler de Jésus, pas de religion. Monsieur le cardinal Turcotte m'avait confié il y a une dizaine d'années son désarroi quand deux prêtres qu'il venait d'ordonner ont quitté la prêtrise quelques années plus tard. Il se demandait ce qu'il faut changer dans la formation. »

La dernière décennie de son épiscopat a été marquée par ces questions sans réponse. « Quelques années avant sa retraite, il avait commencé une consultation sur les fermetures de paroisses », explique Charles Langlois, ancien recteur du Grand Séminaire. « C'est toujours difficile, les vieux paroissiens sont habitués à leur église. Il faut prendre le temps. Mais il me semble qu'après deux ans de consultations, il aurait pu prendre des décisions. Il les a laissées à son successeur. » Philippe Vaillancourt rapporte que le cardinal Turcotte répétait souvent à ses collaborateurs, au cours de ses dernières années à la tête de l'archevêché, que son successeur trancherait les questions difficiles.

Néanmoins, jusqu'à la fin, il a trouvé le temps de prendre des décisions de gestion de moindre ampleur, mais tout aussi épineuses. « Durant les dernières années de son pontificat, le CA d'une maison de retraite pour prêtres et religieuses avait recommandé de fermer l'infirmerie, qui nous coûtait les yeux de la tête », dit Lionel Gendron, l'archevêque de Longueuil, à l'époque évêque auxiliaire à Montréal. « Le cardinal était un homme profondément humain et il ne pouvait se résoudre à envoyer les prêtres au CLSC. Il a fini par trouver une solution auprès de la clinique privée des résidences Angus des soeurs grises. »

Hostilité

Son charisme a fini par se retourner contre lui. À la fin des années 90, il est devenu la figure du refus de l'Église de s'excuser pour les sévices subis par les orphelins de Duplessis, qui avaient été internés dans des établissements psychiatriques catholiques durant les années 50. On se rappellera toutefois que feu Raymond Gravel, le prêtre de Saint-Jérôme bien connu pour ses critiques de l'Église, considérait que Mgr Turcotte était injustement ciblé dans les circonstances.

« Ces dernières années, il se faisait souvent insulter, dit M. Vaillancourt. Le spécial de fin d'année d'Infoman parlait du "gros Turcotte". Lors d'une visite à Tout le monde en parle, en 2009, il a été assailli de critiques sur le mariage des prêtres, la place des femmes, l'homosexualité, l'avortement. À la longue, ça l'a usé. Il était dégoûté des réactions aussi fortes envers sa personne. »

Jean-Claude Turcotte en quelques dates

• 1936: Naissance dans le quartier Centre-Sud, deuxième de sept enfants

• 1943 : Pensionnaire dans une école de Saint-Vincent-de-Paul (Laval)

• 1946: La famille Turcotte déménage à Saint-Vincent-de-Paul

• Années 50: Étudie au collège Grasset

• 1959: À peine ordonné, il est nommé prêtre à Saint-Mathias-Apôtre, une église d'Hochelaga-Maisonneuve qui n'existe plus

• 1961: Nommé aumônier des Jeunesses ouvrières catholiques dans l'est de Montréal

• 1964: Études de pastorale sociale aux facultés catholiques de Lille

• 1965: Aumônier de la Jeunesse indépendante catholique féminine et du Mouvement des travailleurs chrétiens

• 1968: Chargé de la formation pratique au Grand Séminaire de Montréal

• 1974: Directeur de la pastorale paroissiale au diocèse de Montréal

• 1982: Évêque auxiliaire à Montréal

• 1984: Responsable de la section montréalaise de la visite du pape Jean-Paul II

• 1990: Archevêque de Montréal

• 1993: Donne la catéchèse en français aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) à Denver

• 1994: Cardinal

• 1997: Président de la Conférence des évêques catholiques du Canada jusqu'en 1999

• 1999: Synode diocésain à Montréal où il permet un vote sur le mariage des prêtres

• 2002: Participe à l'organisation des JMJ de Toronto

• 2003: Milite contre la participation canadienne à l'invasion de l'Irak

• 2008: Remet sa médaille de l'Ordre du Canada, décernée en 1996, pour protester contre l'attribution de la même dignité à Henry Morgentaler

• 2011: Atteint l'âge canonique de la retraite et remet sa démission

• 2012: Remplacé par Christian Lépine comme archevêque