Les auteurs célèbres ne font pas que vendre des livres: ils font aussi vendre... des villes. Visite de Carthagène, en Colombie, inspirée de l'oeuvre du grand Gabriel García Márquez.

Londres, Stockholm ou encore Barcelone exploitent depuis belle lurette déjà le potentiel touristique de leurs plus précieux écrivains en proposant aux lecteurs fidèles des visites guidées dans les traces de leurs héros en papier ou leurs créateurs, de Charles Dickens à Stieg Larsson en passant par Carlos Ruiz Zafón. Mais Carthagène, elle, vient à peine de découvrir l'attrait exercé par l'un des plus illustres résidants de son histoire, le Prix Nobel de littérature Gabriel García Márquez.

Et pourtant! Gabo, comme on le surnommait si affectueusement ici, a été si profondément inspiré par son (très bref!) passage dans la perle des Antilles qu'il a déjà déclaré que tous ses romans avaient des liens - à tout le moins ténus - avec Carthagène. Or, ce n'est qu'en 2011 qu'un groupe d'historiens et de passionnés de littérature ont uni leurs forces pour créer une visite guidée permettant de retracer ces lieux et ces événements qui ont marqué l'auteur de L'amour au temps du choléra.

La guide touristique Marelvy Peña-Hall avait lancé la sienne quelques mois plus tôt, poussée par la demande d'une étudiante britannique. «Étrangement, on n'y avait pas pensé auparavant», remarque-t-elle.

Il faut dire que les signes de son séjour ne sont pas faciles à reconnaître au premier abord. Carthagène a certes beaucoup changé depuis le passage de l'auteur, mais elle a aussi été savamment remodelée sous sa plume entremêlant réalisme et fantastique.

Sans guide spécialisé, n'espérez pas vous y retrouver, même en ayant lu tous les romans: nous avons logé dans un hôtel à deux pas de la résidence privée que Gabo occupait pendant ses vacances sans jamais nous en douter, jusqu'à ce que la guide Mavelry Peña-Hall dévoile le pot aux roses. Ça change les perspectives.

L'histoire de Gabriel García Márquez à Carthagène débute en 1948 dans la plus vieille rue de la cité, la rue des Dames, qui était loin d'avoir le charme et le chic d'aujourd'hui. Il a 21 ans et débarque ici, fuyant un accès de violence qui vient d'éclater à Bogota. Il n'a que 4 pesos et une cigarette en poche. Trop peu pour loger dans la pension El Suiza où un ami devait l'accueillir, mais qui, manque de pot, est absent ce soir-là. Un couvre-feu interdit à quiconque de se trouver dans la rue après 21h. Mais Gabo, intrigué par cette ville mystérieuse, en fait fi et préfère déambuler dans les rues du centre. La police le surprend: il termine sa première nuit au fond d'un cachot humide, lui aussi rue des Dames, qui a été transformé en hôtel de luxe depuis.

On n'est guère loin de la rue San Juan de Dios où il décrochera son premier emploi au journal El Universel et fera des rencontres marquantes pour sa carrière, dont celle du directeur de la publication à qui il attribuera l'essentiel de sa formation.

Romans

L'amour au temps du choléra est le titre où l'on retrouvera le plus de traces concrètes de la ville. Gabo y fait une description précise de la vie et des habitudes de Carthagène, une description si réaliste que ses héros pourraient bien avoir existé, relève-t-on dans l'audioguide La Cartagena de Gabo. Sur ce parcours, on passera rue Roman pour admirer l'édifice jaune, enjolivé de moulures blanches, où habitait le pharmacien à qui le Dr Juvenal demandera conseil pour le traitement des malades.

Gabo relate avec précision dans son roman l'épidémie qui, un siècle plus tôt, avait emporté 150 000 malades. Le parc Bolivar aussi y figure, tout comme le portail des scribes, où Florentino part à la recherche de Fermina Danza. Plus loin, la maison de Don Benito servit d'inspiration pour camper certaines scènes de L'amour au temps du choléra (c'était la demeure du père de Fermina), mais l'histoire de son propriétaire inspira aussi De l'amour et autres démons.

Place de la Douane, en face de la tour de l'Horloge, on foule l'endroit où le personnage principal de De l'amour et autres démons est mordu par un chien enragé. Les tentes de loteries décrites par l'auteur ont été remplacées depuis par des marchands de bonbons artisanaux de toutes sortes: ne cherchez pas pourquoi on a rebaptisé l'endroit le pavillon des douceurs.

Gabriel García Márquez a aussi pris ici des décisions importantes, comme celle de tenir tête à son père en abandonnant ses études de droit pour se consacrer à l'écriture, après avoir réfléchi à la question du haut de la tour de l'Université, un lieu de rassemblement si agréable aujourd'hui, où l'on retrouve de jolies statues de Botero. En fin de journée, la douce lumière ambrée donne au centre-ville historique des airs de décor de théâtre.

Quelques légendes. Un peu de mystère. Un certain désordre et le sentiment qu'ici, tout peut arriver: une matière première en or pour le créateur du réalisme magique. «Ce n'est pas pour rien que Gabo a commencé ici son premier roman!», lance Marelvy Peña-Hall. La Casa ne fut jamais publié, mais servit de matière première à sa grande oeuvre Cent ans de solitude. Toutes les villes ne peuvent se targuer d'avoir inspiré si grand roman.

Pour réserver une visite avec la guide Marelvy Peña-Hall: tourincartagena.com