En moyenne, 70 % des élèves des écoles primaires dînent à l'école, selon une enquête de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Or, seulement 32 % des écoles disent « faire du repas un moment agréable de la journée scolaire, notamment en s'assurant que les endroits où les jeunes mangent sont accueillants et conviviaux », d'après le ministère de l'Éducation. Heureusement, un projet financé par Québec en forme veut redonner son sens à l'expression pause-repas.

Quinze minutes pour manger

Elle est révolue, l'époque où les enfants allaient dîner à la maison. À l'école Émilie-Gamelin, de La Praire, 620 élèves - sur un total de 650 - mangent sur place, tous les midis. À la cafétéria, des tablées de 200 enfants se succèdent toutes les 25 minutes.

À 11 h 25, les petits (maternelle à 2e année du primaire) mangent leur lunch. Dès 11 h 50, les moyens (3e et 4e années) les remplacent. À 12 h 15, c'est au tour des grands (5e et 6e années) d'aller y avaler leurs sandwichs.

« Deux cents enfants par période dans un milieu restreint, ça ne permet pas une détente, mais une course, dit Manon Laverdière, mère d'un élève d'Émilie-Gamelin. Mon fils n'a souvent pas le temps de manger. »

Ce n'est pas une exception, mais la norme. Près de 55 % des écoles doivent scinder la période du dîner en plus d'une plage horaire, selon un sondage mené auprès de 624 responsables de services de garde par l'Association des services de garde en milieu scolaire du Québec (ASGEMSQ), du 20 octobre au 12 novembre 2014. « Comme le temps alloué à cette période n'a pas augmenté, cela signifie forcément moins de temps pour chaque groupe », note Julie Simard, chargée de projets à l'ASGEMSQ. Plus il y a d'enfants à l'école, plus les dîners sont pressés.

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L'école Notre-Dame-de-Lourdes d'Iberville, fréquentée par 565 enfants, l'illustre bien. « Il y a trois périodes de dîner et les enfants doivent manger en 15 minutes, top chrono, en incluant le lavage des mains, la pause pipi, le moment pour s'asseoir, ouvrir sa boîte à lunch et manger, décrit une mère de deux élèves de Notre-Dame-de-Lourdes. Les boîtes à lunch reviennent pratiquement pleines. Les enfants me disent: "Je n'ai pas eu le temps." »

Hâte d'aller jouer

Les rotations de groupes d'élèves « se font habituellement toutes les 20 minutes » à Notre-Dame-de-Lourdes, confirme Mario Champagne, directeur du service du secrétariat général et des communications de la commission scolaire des Hautes-Rivières. C'est suffisant « pour la très grande majorité des élèves », notamment parce qu'ils ont « souvent hâte d'aller jouer », indique-t-il. « Toutefois, si des élèves ont besoin de plus de temps pour terminer leur repas, ils peuvent le faire sans problème », assure-t-il.

Même discours à l'école Émilie-Gamelin. « Ceux qui n'ont pas terminé au moment du prochain dîner peuvent rester à la cafétéria jusqu'à ce qu'ils aient fini », précise Mylène Godin, régisseuse du secteur des communications de la commission scolaire des Grandes-Seigneuries.

La formule des repas successifs a ses avantages, selon elle. « Étant donné qu'il y a moins d'élèves en même temps à la cafétéria, la période de dîner est beaucoup plus calme et moins bruyante, plaide-t-elle. Il y a moins d'attente à la cafétéria et aux micro-ondes et, par conséquent, les élèves bénéficient d'une plus longue période pour faire des activités ou aller dehors. »

Manque de cafétérias

Encore faut-il que les écoles soient dotées d'une cafétéria, ce qui est rare. « Les enjeux entourant l'utilisation des locaux au sein des écoles sont primordiaux, souligne Josée Plante, directrice générale de l'ASGEMSQ. La majorité des écoles ne sont pas adaptées pour accueillir autant d'élèves pour dîner. Les enfants sont parfois obligés de manger dans leurs classes, dans des halls d'entrée, dans des couloirs ou encore dans des gymnases. »

Trop bruyant

Or, dîner dans un gymnase aux hauts plafonds n'est pas une sinécure. « Le problème n'est pas le repas, mais le manque de personnel, l'impossibilité de relaxer pour les enfants et le niveau sonore dans le gym, des plus bruyants », témoigne une mère de Longueuil, dont le fils mange dans cette salle conçue pour le sport.

« Je me suis promenée dans les cafétérias scolaires, ou du moins dans les locaux où les enfants prennent leurs repas, et c'est souvent bruyant, confirme Marie Ouellet, nutritionniste et agente de promotion des saines habitudes de vie au centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est. On pense beaucoup à l'offre alimentaire. On ne veut pas de barres tendres avec du chocolat, on interdit différents aliments dans les boîtes à lunch. Mais quel est l'environnement qu'on offre à nos enfants pour qu'ils mangent? Pas pour qu'ils mangent santé, pour qu'ils mangent, point. Je trouve qu'il faudrait aussi travailler là-dessus. »

Les techniciens en service de garde en sont conscients. Ce qu'ils souhaitent faire en priorité pour améliorer la convivialité des repas? Réduire le bruit, laisser la possibilité aux enfants de manger à leur propre rythme et avoir accès à des éviers, selon le sondage.

Deux formules pour dîner à l'école

Les enfants qui dînent à l'école ne sont pas tous égaux. Ceux qui sont inscrits au service de garde, à 8 $ par jour, sont divisés en groupes de 20 élèves par éducatrice, le midi. Quant aux enfants qui ne font que dîner à l'école - sans aller au service de garde avant ou après la classe -, leurs parents paient un prix variable pour la surveillance du midi. « Aucune norme particulière ne les encadre, précise Josée Plante, directrice générale de l'ASGEMSQ. Il y a parfois des écoles où il y a 50 enfants pour 1 surveillant. »

>>> Pour consulter le Portrait de la période du dîner et de la promotion des saines habitudes de vie en service de garde en milieu scolaire, de l'ASGEMSQ: http://asgemsq.qc.ca/ensemble.html

Pour rendre les midis plus conviviaux

Bonne nouvelle, Québec en forme finance un projet destiné à rendre les dîners au primaire plus zen. Baptisée Ensemble pour des contextes de repas plus conviviaux, cette initiative de l'Association des services de garde en milieu scolaire du Québec (ASGEMSQ) a deux objectifs principaux: créer des environnements physiques agréables et former le personnel en saine alimentation.

« Tout le monde est au courant qu'il y a des problèmes à la période de dîner, indique Julie Simard, chargée de projets à l'Association. Ce qui nous a motivés, c'est l'envie de faire quelque chose de plus pour améliorer la situation. »

Carole Després, professeure à l'École d'architecture de l'Université Laval, a été invitée à se pencher sur la qualité architecturale des locaux de service de garde. « Notre premier constat, c'est que 85 % des écoles ont été construites avant 1975, dit la professeure. Aucune n'a été prévue pour accueillir un service de garde. Je fais moi-même partie de ces générations qui avaient des mères au foyer, qui nous faisaient des tartes chaudes. Ce n'est évidemment plus le cas. »

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Périodes de construction des écoles primaires du Québec

Avant 1946: 11 %

1946-1974: 75 %

1975-1999: 11 %

Depuis 2000: 3 %

Sources: École d'architecture de l'Université Laval, Association des services de garde en milieu scolaire du Québec et Québec en forme Avec l'instauration d'un tarif réduit, la fréquentation des services de garde scolaires a explosé, bondissant de 300 % entre 1997-1998 et 2004-2005.

« Aujourd'hui, de 70 à 99 % des enfants mangent à l'école, note Mme Després. Les directions d'école et les responsables de services de garde se dévouent pour trouver des façons d'agrandir de l'intérieur. »

Évaluation de sept écoles

Sous sa supervision, des étudiants ont fait l'évaluation architecturale des lieux utilisés par les services de garde de sept écoles, à l'automne 2014. Résultat: les locaux attribués aux services de garde sont en nombre nettement insuffisant, il manque d'espace pour manger et les ambiances physiques sont déficientes dans certains locaux.

« Dans plusieurs cas, la densité d'occupation des locaux peut être problématique », lit-on dans un bulletin consacré à cette évaluation architecturale. Étonnamment, les normes du ministère de l'Éducation ne prévoient qu'un local pour 125 enfants inscrits au service de garde, deux locaux pour de 126 à 249 enfants et trois locaux pour 250 enfants et plus.

« Une lacune quant à l'apport de lumière naturelle » est rapportée dans certaines salles, notamment en sous-sol. Autre problème: le niveau de bruit. « Les appareils ont pris des mesures allant jusqu'à 100 décibels », précise le bulletin. Or, à partir de 85 décibels, le son est psychologiquement et physiquement nocif. Abaisser le niveau de bruit, avec des matériaux absorbants, est heureusement possible.

Conjoncture favorable

L'équipe de l'Université Laval s'affaire en ce moment à analyser les plans de 1000 écoles, fournies par 27 commissions scolaires. Mme Després souhaite ensuite mettre en commun l'expertise des commissions scolaires, des directions d'école, des comités de parents, des services de garde, etc., « pour trouver ensemble des solutions », fait-elle valoir.

Il y a une conjoncture favorable au Québec, estime la professeure. « Les bâtiments hérités de la Révolution tranquille ont à être rénovés. Faisons-le comme il faut. »

L'Association des services de garde conçoit, quant à elle, du matériel de formation « pour communiquer de bons messages » le midi, explique Mme Simard. Non, il ne faut pas exiger des enfants qu'ils dévorent tout le contenu de leur boîte à lunch, même si certaines éducatrices en sont convaincues... Ce matériel sera testé dans six écoles cet automne, avant d'être accessible à tous à la fin du projet, prévue en 2017.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

La « mafia des boîtes à goûter »

À l'école des Cépages, à Gatineau, les enfants n'ont pas le droit d'avoir des collations qui se mangent avec une cuillère ou une fourchette. Pas de yogourt, pas de salade de fruits, pas de pot de compote. Idéalement pas de barres tendres, surtout pas celles enrobées de chocolat, interdites.

« Les oranges et les clémentines doivent avoir été épluchées à la maison, sinon, pas le droit de les manger, dénonce la mère d'un élève de cette école. La collation doit être facile et rapide à manger. La directrice suggère une pomme ou un Ficello. »

« Le midi, les éducatrices du service de garde, que j'appelle affectueusement la "mafia des boîtes à goûter", font leur inspection, poursuit cette mère. Elles disent aux enfants quoi manger en premier. C'est insupportable et stressant tant pour les enfants que pour les parents, tous ces règlements. »

Manger à la bibliothèque...

« Dit comme ça, ça peut avoir un peu l'air d'un régime militaire », convient Frédérica Dupuis, conseillère en communications à la commission scolaire des Draveurs, dont relève l'école des Cépages.

« Il faut savoir que, dans cette école, la collation est prise chaque jour dans un endroit différent, explique-t-elle. Un jour, c'est dans la salle de classe, l'autre, c'est dans une salle communautaire, la bibliothèque ou le gymnase. On a donc instauré ça pour garder les endroits propres et éviter du travail supplémentaire. Quand on demande que les fruits soient épluchés, c'est pour que l'enfant ne se salisse pas, que ce soit juste plus facile. »

Pas de plaintes

Cela ne restreint-il pas beaucoup les choix des parents? D'autant plus que les fours à micro-ondes ont été enlevés il y a quelques années, et que les frigos viennent aussi d'être retirés, en juin. « Absolument, mais il n'y a pas eu de plaintes formelles qui ont été faites à l'école », répond Mme Dupuis.

Quant à l'inspection des boîtes à lunch, « ce n'est pas pour les élèves de 6e année », précise-t-elle. « On guide les plus jeunes. On leur dit: "Au lieu de commencer par ton biscuit, ce serait mieux que tu prennes ton sandwich." »

Est-ce pareil dans les autres écoles de la commission scolaire des Draveurs? « C'est à chaque direction et au conseil d'établissement d'établir ces règles de vie, indique Mme Dupuis. La commission scolaire ne s'ingère pas dans ce genre de décisions. »

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