Avec les tissus traditionnels «shweshwe» qui se pointent sur les podiums, Lupita Nyong'o choisie comme égérie de Prada et des artistes comme Annie Leibowitz ou Solange Knowles qui mettent en valeur la singularité des townships du Cap, le look africain s'impose désormais dans son aspect contemporain, glam et cosmopolite. Coup d'oeil ethnologique sur l'état du style, en Afrique.

Parlons cheveux

En fines tresses, comme l'a souvent portée Janet Jackson, en lisses rallonges comme la tignasse de Beyoncé ou «au naturel» comme l'actrice Lupita Nyong'o, la chevelure crépue est un lieu riche en expression créative et affirmation identitaire. Anthropologue à l'Université du Cap, Patience Mususa nous explique comment, dans plusieurs pays du continent africain, les cheveux sont prétextes à rites de passage et rencontres sociales animées.

Dans le séjour de son appartement lumineux du Cap, où sa mère lui rend visite pour quelques semaines (et se mêle volontairement à notre conversation!), l'anthropologue Patience Mususa nous sert le thé, avant d'entrer dans le vif de notre sujet du jour: «les cheveux africains». Cette intellectuelle zambienne, spécialiste des mines, s'intéresse autant à son propre rapport à sa chevelure qu'au rôle social de la coiffure dans la société zambienne.

Peut-on parler d'une version africaine de Steel Magnolias? Tout à fait.

«Lorsque j'ai commencé à faire mes recherches terrain, dans les villes minières, j'ai vite compris qu'une visite dans un salon de coiffure était une façon agréable de recueillir de l'information et de briser la glace. Vous entendez des femmes relater des récits de leur propre vie ou parler de politique, observez le va-et-vient des gens qui entrent et sortent.»

Photo John Shearer/Invision, AP

Le style capillaire de Beyoncé inspire les femmes partout dans le monde. 

Au début de sa vingtaine, quand elle a commencé à gagner un peu d'argent, Patience Mususa a, pour la première fois de sa vie, franchi la porte d'un salon qui «relaxait» les cheveux crépus. «C'était une sorte de rite de passage, presque comme intégrer le monde du travail», relate l'anthropologue, qui explique qu'en Zambie, les écolières doivent porter leurs cheveux en tresses françaises simples et serrées, pour transmettre une image de sérieux et de propreté. Après l'obtention de leur diplôme, les filles peuvent enfin se laisser aller à un peu de fantaisie.

«En quelque sorte, il s'agit d'une façon d'affirmer "Je suis adulte maintenant, je peux "relaxer" mes cheveux, je peux même être chauve, si ça me chante."» Dans plusieurs régions du continent africain, poursuit-elle, «le corps devient un canevas pour déployer sa créativité, et les cheveux deviennent une extension du soi». «Parfois, on se retrouve chez l'une ou chez l'autre pour se tresser les cheveux. Et c'est comme un party, c'est vraiment agréable!», raconte Patience Mususa, une pointe de mal du pays dans la voix.

«Pendant mes années d'université, quelques-unes de mes amies ont préféré porter leurs cheveux courts. D'autres ont adopté l'avenue chimique, et les plus audacieuses rasaient leur crâne. Cela dit, je trouve intéressant de constater qu'en Europe et en Amérique du Nord, il existe depuis quelques années une distinction nette entre les cheveux naturels et traités chimiquement. Parce qu'en réalité, ce n'est pas aussi tranché, c'est un continuum d'expérimentations...», exprime Patience Mususa, qui déplore une certaine «commodification» des cheveux naturels depuis quelques années.

«Finalement, cela n'est qu'une tactique pour vendre des produits capillaires naturels qui, de toute façon, existaient déjà!»

Parlons esthétique

Traitements faciaux, épilations intégrales sur des corps de plus en plus jeunes, ongles au gel ou au «shellac», multinationales de cosmétiques... L'Afrique du Sud a tout en commun avec le reste du monde dans le domaine des soins et des cosmétiques.

Certes, on voit parfois surgir sur les podiums des hommages aux ornements traditionnels (comme les parures faciales xhosa, par exemple), mais de façon générale, dans les centres urbains du Cap ou de Johannesburg, les femmes de toutes origines culturelles suivent les modes occidentales.

Une différence culturelle s'impose toutefois: plusieurs Sud-Africaines qui prodiguent les soins comptent à leur CV des expériences en mer totalement singulières.

Meldene Heneke, une esthéticienne noire de la ville de Stellenbosch, en périphérie du Cap, a travaillé 18 mois sur un navire de croisière des Caraïbes en 2008-2009, après avoir complété sa formation qui lui a coûté 12 000$.

«C'est quelque chose de très courant ici. L'institut où j'ai étudié avait un partenariat avec une agence qui réalise des interviews avec les filles à la fin de leurs études et nous envoie pour une formation plus poussée en Angleterre ou ici, dans la ville du Cap. On vous place selon votre personnalité, et vous devez être prête à partir à n'importe quel moment», lance l'esthéticienne au sourire apaisant et aux doigts de fée, que La Presse a interviewée au salon d'esthétique du Cap où elle travaille.

Lorsque Meldene a été choisie pour exercer son métier sur un navire de la compagnie Carnival Cruise Line, elle a été la première surprise «parce qu'[elle est] une personne timide et ces navires sont connus comme étant très animés et funky!». Arrivée à Tampa, en Floride, son «port d'attache», Meldene a été étonnée par la taille imposante du navire qui allait devenir sa demeure temporaire sur mer.

Photo Gianluigi Guercia, AFP

Beaucoup de maquilleuse sud-africaines commencent par une expérience dans le milieu des croisières.

Malgré l'éloignement de ses proches, la mer houleuse et la taille microscopique de la cabine qu'elle partageait avec une collègue philippine, Meldene s'est bien amusée à bord du navire où, dit-elle, les employés avaient droit à de beaux partys de bienvenue, un bar et des moments de détente sur le pont, «qui ressemblait à celui du Titanic».

Et en dépit de toutes les tentations à bord (et dans les escales où le navire jette l'ancre), Meldene a réussi à économiser suffisamment pour rembourser son prêt étudiant (environ 5000$), surtout grâce aux pourboires récoltés au fil des pédicures, manucures, épilations... À l'instar des aides-domestiques qui trouvent du travail dans des familles fortunées d'Europe ou d'Amérique du Nord, les «esthéticiennes marines» de plusieurs pays de la planète prennent le large pour subvenir aux besoins de leur famille. «Le plus difficile, c'était de retrouver du travail en Afrique du Sud», concède Meldene.

Parlons fringues

Ce mois-ci, la très éloquente et très stylisée Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie est la vedette du site web du Vogue britannique. Chaque jour de mars, l'auteure d'Americanah, de L'hibiscus pourpre et de L'autre moitié du soleil dévoilera aux lectrices du chic Vogue sa tenue vestimentaire du moment.

Depuis le début de son «mandat» d'un mois avec Vogue UK, Chimamanda Ngozi Adichie démontre un style chic, inventif et éclectique. Elle amalgame des vêtements de designers comme Carolina Herrera ou de grandes chaînes comme Zara ou BCBG avec des pièces de designers nigérians comme Obsidian ou Itunu, qui utilisent des tissus traditionnels ou encore des morceaux conçus par des tailleurs locaux ou dénichés dans un marché de Lagos.

Bref, elle se fait l'ambassadrice d'une mode africaine cosmopolite.

Péché de légèreté et de futilité, pour une telle romancière consacrée par la critique? Pas du tout: il faut retourner aux paroles de son manifeste We Should All Be Feminists, conférence TED reprise en échantillonnage sur l'album Flawless de Beyoncé, pour comprendre que dans le monde de Chimamanda, talons hauts et rouge à lèvres se conjuguent sans heurts avec intelligence et autonomie.

«J'ai choisi de ne pas m'excuser pour ma féminité. Et je souhaite qu'on me respecte dans toute ma féminitude. Parce que je le mérite. J'aime la politique et l'histoire et j'atteins le sommet du bonheur quand je détiens un bon argument pour défendre mes idées. Je suis féminine. Je suis heureuse d'être féminine. J'aime les talons hauts, essayer des rouges à lèvres. Il est agréable d'être complimentée autant par des hommes que par des femmes (quoique, bien honnêtement, je préfère recevoir des compliments de femmes de style), mais je porte souvent des vêtements que les hommes n'aiment pas ou ne comprennent pas. Je les porte parce que je les aime et parce que je m'y sens bien...», dit-elle dans sa conférence.

Photo Chang W. Lee, The New York Times

Chimamanda Ngozi Adichie