Nicolas Ghesquière, un des créateurs les plus doués de sa génération, et la maison Balenciaga ont pris par surprise le monde de la mode en annonçant lundi la fin d'une collaboration fructueuse de 15 ans, laissant les fashionistas sur leur faim.

Le communiqué commun publié lundi ne dit rien en effet des questions essentielles: pourquoi part-il ? Qui va le remplacer et que va-t-il faire à l'avenir ?

Ni la maison Balenciaga ni le groupe PPR qui contrôle la griffe ne souhaitaient commenter le court texte publié lundi, si ce n'est pour expliquer que le départ a été «préparé», qu'il ne s'agit pas «d'un coup de tête» mais que c'est le fruit «d'une longue réflexion».

Après les arrivées de Raf Simons chez Dior et Hedi Slimane chez Saint Laurent, il s'agit du troisième changement majeur intervenu récemment dans le milieu.

François-Henri Pinault, PDG de PPR, cité dans le communiqué, a rendu hommage à Nicolas Ghesquière qui «a su avec un talent rare de créateur apporter à la maison Balenciaga une contribution artistique essentielle au rayonnement unique de la marque».

Balenciaga fait partie depuis 2001 du groupe PPR qui compte également dans son escarcelle les Gucci, Yves Saint-Laurent, Alexander McQueen ou Stella McCartney et Bottega Veneta. La griffe, qui connaît de nombreux succès avec ses sacs notamment, compte une soixantaine de magasins dans le monde.

Nicolas Ghesquière occupe une place à part sur la planète mode car il a réussi à ressusciter la maison Balenciaga, en sommeil depuis sa fermeture par son fondateur Cristobal Balenciaga en 1968.

Une carrière fulgurante

Nicolas Ghesquière, styliste iconoclaste à la carrière fulgurante, s'est taillé une réputation d'enfant prodige, acharné, visionnaire, usant de sa fantaisie au service d'une mode avant-gardiste et élitiste.

«Le luxe est élitiste, c'est une notion à défendre, qui va de pair avec l'exclusivité», aime à répéter cet autodidacte de 41 ans, devenu à 26 ans l'héritier d'un des plus grands noms de la mode, celui de l'Espagnol Cristobal Balenciaga.

Et rarement créateur français et européen n'aura autant fait tourner la tête outre-Atlantique où le monde de la mode s'enflamma pour lui, Anna Wintour, patronne redoutée de Vogue US en tête. En 2001, la profession désignera ce «frenchie» «International designer of the year», soufflant cette récompense la plus convoitée à Karl Lagerfeld et Alexander McQueen.

C'est à 14 ans que le «jeune» homme brun, visage pâle, regard clair et silhouette frêle, né à Comines, au Nord de la France, en 1971, l'année de la mort de Coco Chanel, a attrapé le virus de la mode.

À 17 ans, il prend le train tous les week-ends pour Paris et va aider Corinne Cobson qui débute, et fait des stages pendant ses vacances, notamment chez Agnès B.

Un an plus tard, le bac en poche, à peine en stage chez Jean-Paul Gaultier, il est embauché par celui qui deviendra l'un de ses «maîtres». Dans un entretien au Figaro, il se souvient: «La réalisation d'un rêve ! Gaultier, c'était mon idole d'enfance. Je suis passé de la tissuthèque à l'évidence, il n'a besoin de personne, surtout pas d'un bureau de style. J'avais 21 ans, c'était le moment de bouger».

Expérimenter

Ceux qui ont travaillé avec lui évoquent un certain entêtement, une persévérance à toute épreuve «pour mettre en oeuvre sa vision de la mode et expérimenter coûte que coûte» : exaspérer les proportions (énormes poignets, cols minerves, bandeaux cagoule...), associer les contraires, le rigide et le fluide, superposer les morceaux de tissu comme les aplats en peinture, choquer aussi en associant un certain ascétisme monacal à un univers sado-maso.

Des lignes pures et l'attention dans le détail, une capacité à synthétiser ce que d'autres peinent à percevoir dans l'esprit du temps, ajoutent-ils encore.

Entré chez Balenciaga en septembre 1995 pour dessiner des robes pour le Japon et des vêtements en cuir pour l'Amérique du Sud, Nicolas Ghesquière, qui a fait ses classes également chez Trussardi et chez Callaghan, va s'affranchir du mythe.

En mars 1997, Balenciaga lui propose de succéder au Néerlandais Josephus Thimister à la direction artistique.

Lorsqu'il présente sa première collection maison printemps-été 1998, sa mode radicale va enchanter autant qu'elle va dérouter, séduisant très vite les rédactrices de mode et des actrices devenues des égéries comme Charlotte Gainsbourg.

Ses défilés sont pris d'assaut et les places rares car il préfère des lieux intimistes aux grands messes. Son dernier défilé a été longuement applaudi, comme d'habitude, notamment par l'actrice américaine Kirsten Stewart (Twilight), égérie du nouveau parfum maison lancé cet automne.