Tailleurs sur mesure et cofondatrices de leur propre compagnie, Cin Tailleurs, Cinthya Chalifoux et Gabrielle Gauvreau ont fait tourner les têtes à la plus récente Semaine de mode de Montréal avec un trois-pièces, dont un veston de soie avec queue de pie amovible, clou du spectacle du dernier défilé du créateur Denis Gagnon. Un coup de maître. Portrait d'un tandem féminin qui s'apprête, de surcroît, à décrocher une distinction suprême.

Cynthia Chalifoux et Gabrielle Gauvreau travaillent dans un atelier de la rue Parthenais, où tissus, patrons et machines à coudre meublent un espace au parfum délicieusement suranné. Quelques cartons jonchent le sol, prémices de leur déménagement prévu le mois prochain, direction la boutique du fourreur Dominique Ouzilleau, située, elle, au 92, av. Laurier O.

«Nous allons enfin avoir une vraie visibilité», lance Cynthia Chalifoux, 27 ans, chic dans son veston parfaitement ajusté (évidemment du sur-mesure). Sa taille incroyablement fine est étreinte par une ceinture retenant une longue jupe écossaise.

«Nous avons démarré Cin Tailleurs en août 2009, ici même, à quelques pas de l'École des métiers des Faubourgs, où nous avons fait notre apprentissage pendant 18 mois. C'est un peu comme si nous ne voulions pas couper le cordon avec notre professeur et mentor, maître Paquin.» Pour la petite histoire, ce dernier, au moment de prendre sa retraite, leur a légué sa magistrale paire de ciseaux, geste symbolique pour un tailleur. «C'est en quelque sorte comme s'il nous avait passé le flambeau, se remémore Gabrielle Gauvreau, ce qui d'ailleurs fait de nombreux jaloux dans ce petit milieu de la mode, qui compte tout de même plus d'une centaine de tailleurs sur mesure, rien qu'à Montréal!»

Tiens donc... mais alors qu'est-ce qui a bien pu pousser ces deux jeunes femmes à embrasser une carrière si spéciale, connotée dans l'inconscient collectif comme d'un autre temps et réservée aux hommes? La question amuse nos deux interlocutrices. «Tout est parti de l'amour des vêtements parfaitement coupés, comme une seconde peau, et de ce constat: peu, voire quasiment aucun tailleur sur mesure ne souhaitait réaliser des modèles pour femmes, avec le même degré de technicité que pour les hommes», explicite Cinthya Chalifoux, qui a eu son «sursaut féministe» en scrutant ce marché, avant d'y voir un créneau d'affaires très intéressant.

Autour de nous, partout suspendus, tailleurs-pantalons, pantalons et vestes de smoking, manteaux, vestons, mais aussi des chemises pour «elle et lui», témoignant d'une vraie garde-robe partagée. «Chez nous, tout est possible», reprend Ana Marinescu, responsable du développement de la griffe, «des robes de mariée aux vêtements professionnels - à l'image des uniformes pour homme qu'elles ont créés pour le personnel de l'hôtel Place d'Armes, au début de l'été».

Vous avez dit sur-mesure?

Histoire de démystifier cette idée reçue que le sur mesure serait a priori fatalement hors de prix, l'éventail des propositions de Cin Tailleurs démarre à 200$ pour une chemise et 285$ pour un pantalon (et pour un complet deux pièces, compter en moyenne 950$). Tout dépend ici de deux critères, la qualité du tissu, en général importé d'Italie ou de Grande-Bretagne, et du nombre d'heures consacrées à l'assemblage. «Jusqu'à 25 heures dans la grande mesure» apprenons-nous, performance autrement appelée «bespoke» dans le jargon du milieu.

Précision de Cinthya Chalifoux: «Il s'agit dans ce cas précis de création pure, pour des modèles exclusifs et proches de la haute couture.»

La «petite mesure», dont les modèles sont inspirés de patrons déjà existants dans la banque de données de l'atelier et partiellement montés à la main, est en toute logique moins onéreuse. Quant aux détails de couture, boutons et autres agrafes, tous les goûts sont dans la nature et parfaitement réalisables.

Les deux partenaires érigent en principe le fait de travailler en étroite collaboration avec des artisans expérimentés. On y trouve dentelières, joailliers, couturières «petites mains», et même certains artistes appelés à réaliser des imprimés exclusifs.

Côté délais, entre la première rencontre pour la prise des mesures jusqu'à l'ultime essayage, il peut s'écouler entre trois et six semaines en fonction de la complexité du modèle. «Mais s'offrir un complet sur mesure reste un moment unique. Ceux qui y ont goûté ne peuvent plus s'en passer, tant les vêtements sont synonymes de qualité et de confort!»

La phrase résonne singulièrement dans un monde de la mode trop souvent formaté, où le sur mesure pourrait bien retrouver très vite ses lettres de noblesse. Nos deux «architectes du vêtement», comme elles aiment à se décrire, devraient sous peu devenir «maître tailleurs», distinction autorisée à partir de... la septième année de pratique du métier. C'est donc peu dire que cette reconnaissance officielle d'un travail aussi minutieux qu'inspiré devrait propulser les créatrices sur le devant de la scène, elles qui sont habituées aux ombres de leur atelier miracle.