Sous sa coupe au carré floue et cachée derrière des lunettes de soleil encadrant un ovale boudeur, vous reconnaîtrez Irina Lazareanu, l'un des mannequins-vedettes de la campagne Lanvin pour H

Quand Irina Lazareanu, teint de porcelaine, frange brune et regard de biche effarouchée, a amorcé sa carrière, on était en pleine vague Gisèle Bündchen, du nom du canon brésilien aux mensurations spectaculaires.

 

«Irina ne correspondait pas aux critères esthétiques du moment, elle était tellement différente, se remémore Philippe Dubuc. À la fois atypique et si rock. Au Québec, il y avait encore moins de place qu'ailleurs pour son type de marginalité.»

Toujours en quête de beautés différentes, le créateur montréalais s'empresse de la faire défiler, avant d'en faire, dans la foulée, sa muse pour deux saisons successives (prêt-à-porter automne-hiver 2002 et printemps-été 2003). Visionnaire, Philippe Dubuc? Asolument! «Je pense en effet que nous sommes les premiers à avoir saisi le côté pointu qu'elle porte en elle et cette façon unique et fort inspirante pour les couturiers de s'approprier les vêtements.»

Pour sa part, Irina ne tarit pas d'éloges sur le designer québécois, «le plus talentueux ici» affirme t-elle, avant d'enchaîner sur l'homme qui l'a propulsée au firmament des top-modèles: Karl Lagerfeld, le couturier de la maison Chanel, son «mentor». «Bien entendu, il y a eu aussi Kate Moss», rencontrée grâce à Pete Doherty, le très controversé leader du groupe The Babyshambles, ami d'enfance d'Irina avec lequel elle compose et joue de la musique depuis toujours.

 

Photo: Alex Prager

W Magazine

Quand, en 2005, Kate Moss est conviée à devenir la rédactrice en chef de Vogue, elle choisit tout naturellement Irina pour une série de photos. Dès lors, le mannequin montréalais sillonne le monde, de séances photos pour Vogue, W ou Citizen K, en fructueuses campagnes de publicité pour Balenciaga, Just Cavalli, Mulberry... et Joe Fresh - dont elle fait la campagne télévisée ces jours-ci au Canada.

À cela, il faut ajouter des dizaines et des dizaines de défilés. «En tout, pas moins de 14 saisons de défilés! C'est formidable pour se faire connaître, mais pour le moins usant», confie la top-modèle, avant d'enchaîner: «Je ne suis pas une beauté classique. J'ai une tronche, on peut dire cela comme ça. Et lorsque j'enfile un vêtement, je «rentre» véritablement dans la peau d'un personnage. C'est précisément cette approche de la mode que Karl Lagerfeld a toujours aimée chez moi.» Chanel? Parlons-en. Plus un seul défilé - haute couture comprise - de la célèbre maison de luxe sans Irina et son déhanché unique, sans oublier les campagnes publicitaires, qui prennent, grâce à elle, un tour beaucoup plus rock. Clin d'oeil, vous l'aurez compris à l'une de ses passions: la musique.

 

Chanel 2007. Campagne par Karl Lagerfeld

Pour les fêtes de Noël, elle s'apprête à sortir un album avec Sean Lennon, le célèbre «fils de», et aussi ami de longue date. L'oeuvre portera comme titre fortement connoté The King. Autre défi de taille, la belle lance sa première collection de vêtements au Japon pour la marque Baroque, une mini collection «très masculin-féminin, vintage et élégante», intitulée «Irini par Irina», en clin d'oeil à la ligne «Marc by Marc Jacobs». Ainsi va la carrière exceptionnelle d'Irina Lazareanu, à la fois mannequin-vedette, musicienne, styliste, canadienne et roumaine, débarquée à Montréal à l'âge de 5 ans, qui se destinait à une carrière de danseuse de ballet. Mais la vie en a voulu autrement pour celle qui, aujourd'hui, est «une véritable icône féminine à laquelle toutes les jeunes filles semblent vouloir s'identifier», conclut Philippe Dubuc.

Un phénomène de mode à côté duquel H&M ne pouvait pas passer, pas plus que le reste du monde.

Photo: Alex Prager

W Magazine, novembre 2010