En temps de crise financière, vaut-il mieux créer des classiques, des vêtements durables dans lesquels les consommateurs auront l'impression d'investir, ou des pièces fortes et irrésistibles pour lesquelles on cassera sa tirelire sans hésiter? Nous avons posé la question à plusieurs créateurs québécois, qui sont actuellement en train de concevoir leur collection automne-hiver 2009-2010.

Les opinions et les approches divergent, ce qui laisse croire que, contrairement aux récessions précédentes, nous ne sommes pas nécessairement à l'aube d'une période austère et homogène dans la mode. «Dans les années 90, toutes les belles parures, tous les ornements sont disparus pour faire place à un courant minimaliste. Je ne crois pas que cela se reproduise, du moins pas de manière généralisée, puisque les gens ne veulent plus s'homogénéiser, explique Barbara Atkins, vice-présidente Tendances mode chez Holt Renfrew. Les designers doivent prendre le temps de se questionner sur ce qu'ils sont, sur ce qui a fait leur succès. Un designer reconnu pour son style ornemental doit y aller à fond là-dedans. Un minimaliste doit garder la même ligne de pensée.»

 

Voyons maintenant si nos créateurs sont sur la bonne voie. Forte d'une vingtaine d'années d'expérience dans la mode, Marie Saint Pierre sait où elle s'en va. «Sur le plan de la création, la crise économique m'affecte de façon positive.

«Je vais offrir aux gens une vision très pure, précise et pointue pour que le message se rende sans aucune confusion. Je vais enlever tout le flou, le flafla, aller à l'essentiel. Ce sera une collection assez directive, avec moins de pièces, mais plus de punch! C'est à nous de dire aux acheteurs et aux clients: VOICI!»

Denis Gagnon, dont les créations automnales seront entre autres présentées au salon Who's Next, à Paris, à la fin du mois, a choisi d'ajouter plutôt que d'épurer. «Je reste confiant. Je crois encore au produit de luxe. Peut-être plus encore. Je vais continuer à travailler le cuir et même ajouter de la fourrure. Ma collection automne/hiver sera encore plus luxe que d'habitude!»

«Les créateurs et les griffes qui vont pousser davantage la création et offrir des produits qui ne se font pas ailleurs vont sortir gagnants de cette récession, croit également Philippe Dubuc. En temps de crise, les gens ont tendance à dépenser moins, mais mieux. Moi, ma philosophie, c'est d'offrir un produit unique, c'est de pousser la création encore plus loin.»

Andy Thê-Anh souhaite contrer la morosité ambiante avec une dose de bonne humeur. «Nous comptons mettre sur le marché une collection axée sur l'optimisme, l'espoir et le bonheur de vivre. Nous vendons une vision, du rêve et de l'espoir. Ce n'est pas en période de crise qu'il faut changer d'optique. Pendant la crise des années 30, les chansons optimistes de la Bolduc ont remonté le moral à plus d'un Québécois. Alors, sans tomber dans un optimiste exagéré ou farfelu, il faut véhiculer un esprit de joie et de gaieté.»

Du côté de la relève, on tente de rester fidèle à soi-même. «Les gens ne vont pas arrêter de consommer. Ce n'est pas tout le monde qui est touché par la récession. Je ne me mettrai pas à faire des choses plattes parce que je pense que c'est ce que les gens veulent acheter en période de récession «, croit Ève Gravel.

Valérie Dumaine, une autre designer s'adressant à la femme jeune et moderne, ne changera pas non plus son style, mais elle sent une pression supplémentaire pour livrer une collection impeccable: «Je ne produis jamais beaucoup de pièces, une vingtaine environ, mais chacune de ces pièces devra être un coup de coeur.»

Pour sa part, la jeune créatrice Anastasia Lomonova, reconnue pour ses petites robes de cocktail ultraféminines, a opté pour le changement: «J'ai créé des styles plus décontractés. Moins de robes, plus de pantalons, de jupes et de hauts qui s'agencent facilement. Les matières seront également plus pratiques: du denim, du coton, du jersey plutôt que du satin, par exemple.»

Qui a raison? Les journalistes et les acheteurs seront les premiers à se prononcer au printemps, lors du dévoilement des collections. Suivront les consommateurs, à l'automne.