Imagerie médicale, neurologie, chimiothérapie... Tous les services médicaux offerts aux humains sont aussi dispensés aux animaux. Au Québec, outre de nombreux hôpitaux et cliniques, on compte quatre centres vétérinaires hypersophistiqués où pratiquent des spécialistes qui disposent d'un matériel médical à la fine pointe de la technologie. Aucune attente, mais une facture parfois salée qui soulève la question: va-t-on trop loin?

Le Dr Louis-Philippe de Lorimier est l'un des trois vétérinaires-oncologues qui pratiquent au Québec. Il voit en moyenne 2500 patients par année à raison d'une dizaine par jour. «Certains jours, je peux voir jusqu'à 15 patients, dit-il, et là-dessus, il y aura environ trois nouveaux cas.» Les patients du Dr de Lorimier, qui pratique sur la Rive-Sud et la couronne nord, viennent parfois d'aussi loin que Rimouski ou Rouyn pour faire soigner leur chien ou leur chat. Étudiant, le vétérinaire a perdu son chien des suites d'un cancer. «À l'époque, souligne-t-il, l'oncologie pour animaux n'était pas développée. C'est un peu ce qui m'a motivé à choisir cette spécialisation.»

Imagerie médicale, biopsie, chimiothérapie, radiothérapie, le processus pour un animal domestique atteint d'un cancer s'est beaucoup développé au cours des dernières années grâce aux demandes des clients, observe ce spécialiste formé au Québec et aux États-Unis qui pratique au Centre vétérinaire Rive-Sud, établissement qui compte 180 employés. Les gens sont de plus en plus attachés à leurs compagnons, ils font partie de la famille et ils souhaitent les voir vivre longtemps.

Une industrie en croissance

On compte environ 7,9 millions de chats et 5,9 millions de chiens au Canada, selon une étude de l'Association canadienne de médecine vétérinaire. Le marché de l'alimentation et des accessoires pour chiens et chats est lucratif (il représente autour de 1,5 milliard) et l'industrie des services (toilettage, gardiennage, traiteurs, etc.) est en pleine expansion. Les animaux domestiques sont tellement populaires que selon le Globe and Mail, on demande désormais aux promoteurs immobiliers de la région de Toronto d'inclure des espaces pour les chiens - circuits d'exercice, espace de toilettage et coin pour leurs besoins - dans les nouveaux complexes de condominiums.

Le propriétaire de chien ou de chat dépensera en moyenne 900 $ par année en soins de santé pour son animal, mais les choses se corsent quand pitou ou minou tombe malade. À moins de détenir une assurance privée (toutes les grandes compagnies en offrent qui vont de 50 à 80 $ par mois selon la couverture, avec une franchise autour de 100 $), il faut débourser de sa poche.

«Au Québec, l'assurance pour animaux est encore peu connue, note le Dr de Lorimier. Moins de 10 % des propriétaires en ont une alors qu'en Angleterre par exemple, ça tourne autour de 30 %. Ça peut valoir la peine quand notre animal a besoin de soins spécifiques.»

En fait, c'est un coup de dés. Certains animaux ne seront jamais malades, alors qu'un chien ou un chat mal en point peut coûter des milliers de dollars. À titre d'exemple, le traitement d'un lymphome nécessite des soins qui peuvent coûter entre 500 et 1600 $, alors qu'un traitement de chimiothérapie peut atteindre les 5000 $ sur une période de cinq ou six mois. Une opération orthopédique tourne autour de 2000 $ mais peut aller jusqu'à 5000 $ et nécessitera en outre des soins postopératoires et de la physiothérapie. Il faut également débourser quelques centaines de dollars pour la radiographie ou l'échographie, encore davantage pour un scan. Bref, la facture grimpe rapidement.

Michèle Bazin et Raymond Savoie estiment avoir dépensé autour de 22 000 $ pour Blue, leur jeune golden retriever atteint de dysplasie des coudes et des épaules. «Habituellement les éleveurs offrent une garantie qui couvre la dysplasie des hanches, mais jamais celle des autres membres», explique Michèle Bazin. Blue avait 12 semaines lorsqu'il est arrivé dans sa nouvelle famille. Deux semaines plus tard, ses propriétaires remarquaient sa démarche claudicante. Avant l'âge d'un an, il avait subi cinq opérations aux deux épaules et aux deux coudes. «C'est notre deuxième chien, nous avons un autre golden retriever âgé de 12 ans, poursuit Mme Bazin. Pour mon mari et moi, il n'était pas question de ne pas le faire opérer. Il n'y avait pas d'autres options et on se serait privé de n'importe quoi pour le faire. On voyait bien qu'il n'était pas heureux, on voulait qu'il soit bien.»

Les pattes de Blue sont restées fragiles, mais sa qualité de vie s'est nettement améliorée. «Il peut courir avec l'autre chien, mais il se fatigue plus vite. Quand il fait humide, il souffre d'arthrite.» Le vétérinaire a proposé une dernière intervention, car tout n'était pas parfait, mais cette fois-là, Michèle et Raymond ont refusé. «Nous avons écouté notre chien, il en avait assez, assure Michèle Bazin. Quand on approchait de l'hôpital, il se cachait derrière moi, il pleurait. Nous nous sommes dit qu'il pouvait vivre une vie agréable comme ça.»

Où est la limite?

Est-ce exagéré de dépenser de telles sommes pour un animal de compagnie? La question soulève les passions. Certains estiment qu'il est indécent d'aller aussi loin pour soigner des animaux quand des êtres humains manquent de l'essentiel quelque part sur la planète. D'autres croient qu'un propriétaire est moralement responsable de l'animal qu'il accueille chez lui.

Éthicienne à l'Université de Montréal, Valéry Giroux trouve pour sa part choquant qu'on se formalise des dépenses reliées à la santé d'un animal. «On devrait plutôt s'offusquer des mauvais traitements qu'on leur fait subir, lance- t-elle avec une pointe de provocation dans la voix. Si on admet que les animaux ont une valeur morale, on doit accepter que des gens paient pour les soigner. Ce n'est pas plus choquant de dépenser pour soigner son chien que de dépenser pour des loisirs ou des objets inanimés. Il y a des gens qui dépensent des sommes folles pour des vêtements, du champagne ou pour jouer au golf. Ces dépenses sont tout aussi injustifiées.

«Nous avons des relations avec nos animaux, même les tribunaux accordent une valeur et des dommages psychologiques à la perte d'un animal qui nous est cher, poursuit l'éthicienne. Dans ce contexte, je dirais que compte tenu de la relation que nous entretenons avec un animal, les dépenses pour le soigner sont acceptables et justifiables.