Longtemps interdits, car jugés dangereux pour les enfants, croix gammées et salut hitlérien ont commencé cette semaine à figurer dans les jeux vidéo en Allemagne au nom de la liberté artistique, une évolution qui suscite des critiques.

Présenté lors du salon du jeu vidéo Gamescom de Cologne qui vient de s'ouvrir jusqu'au 25 août, Through the Darkest of Times constitue le premier jeu commercialisé en Allemagne illustrant sans filtre la période nazie.

Le joueur y incarne un résistant au nazisme durant la Seconde Guerre mondiale.

Ici, les ennemis du IIIe Reich sont clairement identifiables: les croix gammées remplacent les triangle noirs sur fond rouge utilisés jusqu'ici, les saluts nazis sont bien visibles et Hitler, auparavant jamais identifié sous son vrai nom, retrouve sa moustache.

Avant, «parce que les développeurs craignaient de dire de quoi il s'agissait, ils inventaient des choses fantaisistes. Hitler ne s'appelait plus Hitler, mais Heiler et n'avait plus de moustache, et il n'y avait plus de Juifs, mais des traîtres. C'est problématique parce que tout un aspect de l'histoire était passé sous silence», explique à l'AFP Jörg Friedrich, codéveloppeur du jeu.

«Liberté artistique»

Le tabou a été brisé début août: sous la pression de l'industrie des jeux vidéo et de la communauté des joueurs, l'autorité indépendante de régulation allemande (USK) a accordé au secteur la même latitude que celle dont bénéficient déjà le cinéma ou le théâtre.

«Les jeux qui se penchent de manière critique sur les événements passés peuvent se voir attribuer une approbation pour la première fois» au nom de la «liberté artistique», a expliqué une responsable de l'USK, Elisabeth Secker.

À la suite d'une décision de justice de 1998, les jeux vidéos n'y avaient jusqu'alors pas droit. Les juges craignaient à l'époque que les enfants «grandissent avec ces symboles et insignes et s'y habituent».

«C'est un passé que l'on ne doit pas forcément occulter, car il peut aussi constituer une piqûre de rappel» pour le public, estime pour sa part Michael Schiessl, visiteur de la Gamescom.

Pourtant, ce tabou brisé a du mal à passer dans le pays.

«On ne joue pas avec les croix gammées», a critiqué la ministre allemande de la Famille, Franziska Giffey, dans une interview jeudi au groupe de presse Funke. Les Allemands en particulier «doivent continuer aujourd'hui à être conscients de leur responsabilité historique», a-t-elle dit.

«Comment allez-vous expliquer aux jeunes qui viennent de jouer dans Call of Duty qu'ils peuvent y hisser le drapeau à croix gammée, mais que s'ils le taguent sur le mur d'une maison, ils finissent au tribunal?», s'exaspère aussi Stefan Mannes, rédacteur en chef d'un portail allemand d'informations sur le IIIe Reich baptisé «L'avenir a besoin de mémoire».

Normalisation

Un argument que rejette Klaus-Peter Sick, historien au Centre Marc-Bloch de Berlin: «le joueur est intelligent et sait faire la différence» entre la fiction et la réalité. «Il n'y a pas de risque de dérive: on ne devient pas nazi en voyant des croix gammées!»

D'autant plus que l'USK n'envisage pas d'autorisation générale et donnera son accord au cas par cas pour savoir si la présence de symboles nazis dans un jeu est «socialement appropriée».

Cette décision constitue pour M. Sick un signe supplémentaire de la «normalisation» des rapports de l'Allemagne avec son difficile passé.

«Cette société peut relire Mein Kampf sans redevenir nostalgique [...] Les nazis convaincus sont décédés. C'est une question de génération: la société s'est transformée et se situe désormais loin d'une époque à laquelle elle ne veut plus revenir», avance l'historien.

Depuis quelques années, plusieurs barrières sont tombées: des films comme Mon Führer: La Vraie Véritable Histoire d'Adolf Hitler (2007) ou Heil: une farce néonazie (2015) ont fait salle comble, le roman Il est de retour (2012) est devenu un bestseller et Mein Kampf a même été réédité en 2016, agrémenté toutefois de notes historiques.

Dans la sphère politique, l'extrême droite allemande (AfD) cherche elle carrément à tirer un trait sur le passé nazi national: elle multiplie les prises de position visant à le minimiser, voire à le réhabiliter.