Un groupe de chercheurs rattachés à l'Université de Toronto presse Ottawa de rehausser ses exigences pour empêcher que des technologies de filtrage de l'internet conçues au Canada puissent être utilisées abusivement par des régimes autoritaires.

Les spécialistes du Citizen Lab, qui est rattaché à la Munk School of Global Affairs, dénoncent plus particulièrement le rôle joué à l'étranger par Netsweeper, une firme ontarienne qui a vendu ses produits dans une trentaine de pays.

« Le gouvernement devrait intervenir à ce stade », note le directeur du laboratoire de recherche, Ronald Deibert, qui reproche à l'entreprise de ne « pas prendre au sérieux » les enjeux soulevés par l'équipe universitaire.

Dans un nouveau rapport paru il y a quelques jours, le Citizen Lab étudie de quelle manière le système de filtrage conçu par Netsweeper est utilisé dans une dizaine de pays confrontés à des « enjeux significatifs » en matière de sécurité, de droits de la personne et de politiques publiques.

Le document relève que les vérifications exhaustives effectuées en ligne, de l'intérieur et de l'extérieur des pays considérés, ont permis de relever plusieurs cas où les produits de l'entreprise ont été utilisés pour bloquer des sites de partis de l'opposition, du contenu religieux ou encore des sites médiatiques.

SITES BLOQUÉS

Le Citizen Lab déplore notamment que la firme offre aux gouvernements avec qui elle traite la possibilité de censurer, à travers une catégorie intitulée « Style de vie alternatif », les sites liés aux questions d'orientation sexuelle et de genre.

Les services de Netsweeper auraient notamment permis de filtrer le contenu à ce sujet à Bahreïn, aux Émirats arabes unis ainsi qu'au Yémen. Ces pays les auraient aussi utilisés pour bloquer des sites de partis de l'opposition ainsi que des sites de nouvelles locales et internationales.

En Inde, ils auraient été utilisés plus spécifiquement par les autorités pour bloquer l'accès à des nouvelles traitant de la violence faite aux musulmans.

Dans un communiqué envoyé aux médias en réponse au rapport du Citizen Lab, la firme ontarienne a indiqué qu'elle était « un leader reconnu mondialement » en matière de sécurité sur l'internet et un acteur clé dans la « bataille pour combattre les activités criminelles en ligne ».

Elle estime que les allégations des chercheurs de Toronto sont « alarmantes » parce qu'elles reflètent un « manque total de compréhension » de la manière dont les fournisseurs d'accès en ligne fonctionnent et sont soutenus par des entreprises comme Netsweeper.

M. Deibert estime que le communiqué ne répond pas aux interrogations des chercheurs, qui demandent à l'entreprise de préciser comment elle procède pour garantir que ses produits ne servent pas à commettre des violations des droits de la personne.

FINANCEMENT CANADIEN

Le chercheur montre aussi du doigt le gouvernement canadien, qui a financé par le passé le développement technologique de la firme et soutenu la commercialisation de ses produits à l'étranger sans s'assurer, selon lui, qu'il n'y aurait pas d'abus.

Netsweeper a notamment bénéficié il y a quelques années d'une garantie de prêt offerte par Exportation et développement Canada (EDC), qui a intégré ses représentants dans des missions commerciales menées en Inde et en Europe au cours des dernières années.

Une porte-parole d'EDC a indiqué hier que le financement en question était « chose du passé ». Elle a précisé par ailleurs que l'organisation fédérale entendait « nouer le dialogue » avec les dirigeants de l'entreprise pour discuter des « renseignements » mis en lumière au cours des derniers jours.

Le directeur du Citizen Lab note que l'objectif du rapport n'est pas d'empêcher toute utilisation à l'étranger des techniques de filtrage de l'internet de Netsweeper, mais bien de faire en sorte qu'elles ne puissent servir de façon abusive.

L'entreprise n'a pas donné suite hier aux questions de La Presse à ce sujet.

Photo David Boily, Archives La Presse

Les spécialistes du Citizen Lab affirment que les produits de Netsweeper ont notamment été utilisés pour bloquer des sites de partis de l'opposition, du contenu religieux ou encore des sites médiatiques.