Une série d'enregistrements anonymes diffusés sur YouTube ont plongé le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan dans l'embarras il y a une semaine. En représailles, l'homme fort de la Turquie menace désormais de bloquer tout accès à YouTube et Facebook après les élections municipales du 30 mars. La crise expliquée en quatre temps.

Vidéos anonymes

Cela ressemble au supplice de la goutte d'eau: depuis une semaine, une demi-douzaine d'enregistrements téléphoniques des conversations du premier ministre turc Tayyip Erdogan ont été diffusés anonymement sur YouTube.

Dans l'un des échanges, on entend Erdogan engueuler le propriétaire du journal Milliyet au sujet d'un article publié à la une et suggérer que les journalistes responsables soient congédiés. Vers la fin de l'appel, le propriétaire du journal, Erdogan Demiroren, éclate en sanglots.

Dans un autre appel, Erdogan demande à son ministre de la Justice de faire pression pour faire condamner l'homme d'affaires Aydin Dogan, un rival qui subissait un procès. Dans une troisième conversation, Erdogan demande à son fils de dissimuler plusieurs millions d'euros et de dollars chez des proches.

Les sujets abordés semblent montrer que les enregistrements datent de 2012. Mercredi, Erdogan a dit que les conversations étaient authentiques, mais que quelqu'un avait fait un «montage» de plusieurs conversations pour leur donner un sens malhonnête.

Bannir YouTube et Facebook

Dans une entrevue diffusée tard jeudi, le premier ministre a affirmé qu'il comptait bannir YouTube et Facebook après les élections municipales du 30 mars, qui sont vues comme un référendum sur la popularité du gouvernement Erdogan.

«Nous sommes déterminés. Nous ne laisserons pas la nation à la merci de YouTube et Facebook. [L'interdiction de ces sites] est en jeu, car ces gens et institutions encouragent des actes immoraux et l'espionnage.»

Le gouvernement a déjà bloqué l'accès à YouTube dans le passé, en raison notamment de vidéos jugées irrespectueuses envers Atatürk. D'autres réseaux sociaux ont aussi fait l'objet de blocages temporaires.

Ironiquement, M. Erdogan a visité la Silicon Valley l'été dernier, notait hier le Wall Street Journal. À cette occasion, il avait déclaré que son gouvernement «chercherait à s'inspirer des innovations technologiques de Google».

Facebook est populaire en Turquie: le pays se classe au 15e rang des pays ayant le plus d'adeptes, avec 34 millions d'usagers actifs sur une population de 77 millions de personnes.

Le mois dernier, le gouvernement turc a également adopté une loi controversée lui permettant de bloquer tout site internet contenant des informations jugées «discriminatoires ou insultantes».

Barack Obama tourne le dos

Pays membre de l'OTAN, la Turquie a longtemps été citée en exemple en Occident comme un État stable dirigé par un parti islamique modéré. En mai dernier, le président Barack Obama a même reçu le premier ministre Erdogan à dîner à la Maison-Blanche, une invitation rare.

Or, la répression violente des manifestations pacifiques à Istanbul, survenues deux semaines plus tard, et le discours antiaméricain et anti-juif alimentant les théories du complot tenu par Erdogan ont mis fin à sa relation avec Obama.

«Durant des années, le président Obama communiquait régulièrement avec le premier ministre Ergodan, notait hier le Christian Science Monitor. Cette relation est désormais rompue.»

Élection référendaire

Des élections municipales doivent avoir lieu le 30 mars en Turquie. Le premier ministre Erdogan les a présentées comme un référendum sur sa présidence et la popularité de son Parti de la justice et du développement (AKP), majoritaire au parlement.

Cette semaine, le premier ministre a promis de quitter la politique si son parti ne gagnait pas les élections municipales. La question sera de voir si la popularité légendaire d'Erdogan sera affectée par la série de scandales.

En décembre, la police avait arrêté plusieurs hommes d'affaires proches du pouvoir, ainsi que trois fils de ministres du gouvernement.

Erdogan avait réagi en licenciant des centaines de policiers et de procureurs, enfonçant le gouvernement dans la crise.