Quiconque fait du business en Chine apprend vite le protocole de remise des cartes de visite, à deux mains et en inclinant un peu le buste: les relations dans les affaires y sont riches de particularités, qui expliquent l'essor tardif des réseaux sociaux professionnels.

LinkedIn (200 millions de membres) et Viadeo (50 millions d'inscrits), les deux principaux acteurs mondiaux, ne cachent pas leur intérêt pour ce marché au demi-milliard de clients potentiels.

Pourtant, l'Américain comme le Français n'y sont encore que des petits Poucet. L'eldorado ressemble pour l'instant à une terre à labourer.

La plate-forme LinkedIn est désormais disponible en une quinzaine de langues, parmi lesquelles le malais, le japonais ou le roumain. Mais curieusement pas en chinois, la langue la plus parlée dans le monde.

«Entrer en Chine est compliqué et ce n'est pas une chose que nous prenons à la légère», souligne Roger Pua, porte-parole de LinkedIn. «Nous gardons l'oeil sur la Chine et la croissance de LinkedIn dans ce pays, et nous sommes en train d'étudier les raisons d'y être présents».

Le champion du «networking», basé en Californie, a ouvert en 2012 un bureau à Hong Kong, marchepied vers le continent.

La société californienne revendique aujourd'hui plus de deux millions d'inscrits en Chine, un chiffre encore modeste comparé aux réserves théoriques de la deuxième économie de la planète.

Mis à part un bref intermède début 2011 lors d'appels à la «révolution du Jasmin», LinkedIn n'a jamais été censuré en Chine, contrairement à Twitter, Facebook ou Youtube. Le défi pour l'Américain est davantage de s'adapter aux particularités du marché chinois.

«Si LinkedIn se résout à faire un grand bond en Chine, je pense qu'il va vite réaliser que ce n'était pas une idée très pertinente», assure Wei Wuhui, professeur à l'université Jiaotong de Shanghai.

«Je ne crois pas que la classe moyenne chinoise ait les mêmes besoins en terme de réseaux professionnels que les gens en Occident, en raison du concept de guanxi», confie-t-il.

Mécanisme essentiel de la société chinoise, le «guanxi» désigne le réseau relationnel d'une personne, s'exprimant par des services mutuels. La dynamique des "guanxi" joue un rôle crucial dans les carrières professionnelles en Chine et permet aussi de naviguer dans les méandres du système administratif.

«En Chine, les gens ne souhaitent pas se rencontrer s'ils ne se connaissent pas. Les Chinois ont une culture fondée sur les relations entre les membres de la famille et les amis proches, ce que je nomme la théorie des connections fortes», explique le professeur Wei.

Malgré cette particularité cruciale, le Français Viadeo a franchi le pas en Chine, en rachetant le site chinois Tianji. Son pdg et fondateur, Dan Serfaty, s'est même installé en 2011 à Pékin, en tablant sur l'essor local.

«L'internet en Chine a longtemps été le fun et le gaming. Depuis deux ou trois ans, cela devient de plus en plus mûr», assure-t-il. Tianji compte, selon lui, 500 000 nouveaux membres par mois.

Li Lian, un concepteur de logiciels basé à Pékin, fait partie des 14 millions de Chinois inscrits sur Tianji. La Chine a un marché de l'emploi en constante évolution et M. Li entend bien en profiter.

«Je me sers de Tianji pour mon plan de carrière. Je trouve sur le site toutes sortes d'entreprises, avec les descriptifs des postes proposés, auxquels je peux me porter candidat si je pense avoir des chances», dit-il.

«Je peux aussi mettre en ligne sur Tianji mes détails personnels pour informer des employeurs potentiels de mes capacités, cela me permet d'augmenter mes chances de décrocher un meilleur emploi».

Dan Serfaty est bien conscient des spécificités chinoises. «La frontière entre le privé et le professionnel en Chine n'est pas toujours très claire. On va au karaoké, on peut se saouler avec ses clients».

«Les Chinois adorent les jeux», ajoute-t-il. «Du coup, on essaie d'amener une expérience utilisateur plus fun que sur d'autres plate-formes».

Le fondateur de Viadeo sait aussi l'importance du «guanxi» en Chine. «Le guanxi, c'est du lien fort. Nous on dit, grâce à l'internet vous entretenez vos liens forts et vous développez vos liens faibles».