Le quotidien britannique The Guardian a ouvert grand les portes de sa rédaction et laissé ses lecteurs regarder par-dessus l'épaule de ses reporters, virtuellement au moins.

Le journal de centre-gauche a décidé de publier sur son site une «newslist», recensant les articles sur lesquels ses journalistes sont en train de travailler et propose à ses lecteurs de les épauler en les contactant sur Twitter.

Dans un pays où la concurrence entre les journaux est féroce et où des tabloïdes ont été jusqu'à payer des journalistes d'autres publications pour avoir accès à ce genre d'informations, l'idée peut paraître osée.

«La première réaction dans le milieu a été dire que c'était insensé, que la concurrence allait voir tout ce qu'on faisait», a expliqué le chef du service sciences James Randerson à l'AFP. «Mais nous n'avons pas eu de problème de vol de sujets (...) et nous ne mettons pas les exclusivités et les informations sous embargo sur cette liste».

Derrière lui, sur un écran d'ordinateur, apparaissent les grilles de sujets -désormais accessibles à tous- que le journal a mis à son menu du jour pour ses pages nationales et internationales, sportives, économiques et scientifiques (https://guardian.co.uk/news/series/open-newslist).

Un lien permet d'aller sur le compte Twitter des journalistes en charge des articles pour leur faire remarques ou suggestions.

«La majorité des réactions ont été très positives. Beaucoup de gens apprécient (...) de voir comment fonctionne un journal», souligne James Randerson.

Cela permet aussi au quotidien de mieux apprécier les attentes des lecteurs.

«Il y avait une grosse histoire de santé un jour et nous n'avions pas fait assez dessus», raconte James Randerson. «Grâce à Twitter, nous nous sommes rendus compte que les gens étaient vraiment inquiets de l'avenir du NHS», le système de santé britannique. «Alors le lendemain, nous avons sorti une enquête beaucoup plus développée».

«Nous devons toutefois garder du recul car Twitter n'est pas forcément représentatif», admet-il, «cependant il est utile d'avoir un retour».

Depuis le scandale du News of the World, l'ex-tabloïde accusé d'avoir fait pratiquer des écoutes de personnalités, les lecteurs ont envie de savoir comment les journaux sont confectionnés, note aussi le responsable des pages nationales, Dan Roberts.

«Les gens n'acceptent plus le discours: "nous travaillons en secret et vous n'avez pas besoin de savoir si nous avons écouté des téléphones ou menti pour obtenir des informations ou si nous les avons inventées"», relève-t-il. «Ils veulent un journalisme professionnel mais aussi avoir leur mot à dire».

D'autres journaux se sont déjà essayés à ce «journalisme ouvert». Pendant deux ans, Norran, un quotidien régional suédois, a mis en place un forum de discussion où ses lecteurs pouvaient suggérer des idées de papiers. Ce qui lui a permis d'augmenter le trafic sur son site et de faire revenir les annonceurs partis avec la récession, comme l'escompte le Guardian.

Et au Canada, Winnipeg Free Press a même ouvert un café où ses lecteurs pouvaient venir discuter en direct avec les journalistes autour d'un verre.

L'expérience du Guardian n'a toutefois pour l'instant attiré qu'une minorité des 2,9 millions de lecteurs qui fréquentent chaque jour son site. Et les journalistes ne reçoivent au total qu'une centaine de messages par jour, dont une poignée seulement est exploitable.

Mais elle s'incrit dans une stratégie centrée sur le numérique, qui, espère le Guardian, lui permettra d'inverser la tendance après des pertes opérationnelles au niveau du groupe de 33 millions de livres l'an dernier (38,4 M EUR).

Après 190 ans d'existence, le quotidien ne tire aujourd'hui qu'à 233 000 exemplaires et le groupe espère gonfler les revenus tirés du numérique de 47 millions de livres cette année à 91 en 2014-16.