La fin de la censure décidée par Google en Chine risque de précipiter un échec de son implantation dans le pays, mais au moins le groupe internet américain a-t-il pu afficher sa fidélité aux objectifs de moralité qu'il proclame, soulignaient des analystes mardi.

Pour l'analyste Justin Post, chez Bank of America/Merrill Lynch, cette solution, combinée à la décision de Google de laisser en Chine des équipes de recherche-développement et de vente, a le mérite d'être «meilleure qu'un retrait, mais va-t-elle durer?».

«Nous en sommes à l'ouverture de ce qui va être une très longue partie d'échecs entre Google et la Chine», prédit Michael Gartenberg, un dirigeant de la société d'analyse Altimeter Group.

Pour M. Post, «l'âpre bataille que se livrent Google et la Chine dans les médias, à la fois en Chine et au-dehors, accroît la probabilité que (Pékin) ferme tout simplement le trafic de tous les sites extérieurs de Google en Chine».

Cela semblait le cas mardi: une recherche lancée en Chine sur le site hongkongais de Google de mots clefs tabous pour Pékin se solde par l'annonce qu'«Internet Explorer ne peut pas afficher cette page». Même quand une liste de sites s'affiche, il est impossible d'ouvrir les liens.

«Google a de fait mis ses activités en Chine à la merci des autorités chinoises, qui pourraient potentiellement couper tout ou partie de l'accès au portail de Hong Kong à partir de la Chine», soulignait l'analyste Youssef Squali chez Jefferies.  

En plus, Google semble isolé sur ce dossier, ce qui ne renforce pas sa position face aux autorités chinoises: en l'absence d'initiative semblable de Microsoft ou d'un autre poids lourd, «nous ne pensons pas qu'une société seule, fût-elle aussi grande que Google, ait la capacité de faire intervenir des changements importants», ajoutait M. Squali.

D'un point de vue financier et commercial, Google prend donc un risque indéniable.

Les investisseurs ont fait baisser l'action mardi à New York (-2,15% à 545,62 dollars vers 17h30 GMT), et tous les analystes pariaient sur une érosion de son implantation en Chine, où il s'est hissé à la deuxième place des moteurs de recherche, avec environ 30% de part de marché estimée face aux 60% estimés pour le Chinois Baidu.

Mais les recettes tirées de Chine par Google sont jugées marginales par les analystes, à environ 250/300 millions de dollars annuels, soit de 1 à 2% du chiffre d'affaires mondial du groupe, selon Morgan Stanley.

Le problème est plutôt un manque à gagner à long terme, alors que, selon la banque, l'accès internet en Chine est certain d'exploser, avec seulement 30% de la population équipée actuellement.

Du coup Baidu se voit courtisé par les investisseurs, son action bondissant de 3,68% à 601,80 dollars à New York.

Mais, estimait M. Post, «la direction de Google a sans doute pris en compte la nécessité de respecter les principes conducteurs de Google», dont la devise est «ne pas faire le mal» - une devise parfois citée avec ironie par des critiques du groupe, prompts à lui prêter des ambitions dominatrices.

En affichant son refus de la censure chinoise, «Google gagne du capital politique ailleurs», assure M. Post.

Mais pour l'analyste indépendant Rob Enderle, Google se montre inutilement téméraire: «les sociétés ne sont pas en position d'être des chefs rebelles», dit-il à l'AFP, et au-delà de son moteur de recherches, Google menace l'implantation de ses autres produits en Chine: «les autorités peuvent bloquer des choses comme le système d'exploitation (pour téléphones portables) Android».

«Abandonner dans le pays le plus peuplé au monde, qui pourrait bien devenir la première économie mondiale, c'est prendre une position sur l'avenir de (Google) qui pourrait s'avérer très douloureuse», conclut M. Enderle.