Si les élections de mi-mandat aux États-Unis ont été marquées par YouTube, le scrutin présidentiel de 2008 passera sûrement à l'histoire comme étant «l'élection Facebook».

Sorti de son cadre ludique, le réseau social fait désormais office de rampe de lancement pour les politiciens. Et le phénomène n'échappe pas aux élus canadiens: entre des Barack Obama et Hillary Clinton forts de centaines de milliers d'«amis», nos chefs fédéraux ont réussi à se tailler une petite place.Stéphane Dion a plus d'«amis» que George W. Bush.

Peut-être pas dans la vraie vie, mais sur le site de réseautage Facebook, le chef libéral est deux fois plus populaire que le président américain sortant. Ses 10 335 partisans font de lui un homme tout juste moins prisé que Rudy Giuliani (10 973 partisans), mais un cran plus populaire que Jack Layton (9531 appuis).

Le premier ministre du Canada, Stephen Harper, n'est pas non plus en reste. Son profil compte quelque 8000 partisans, un score respectable pour un chef de gouvernement si on le compare, par exemple, à celui de Nicolas Sarkozy avec ses 4000 amis. De quoi faire rougir de honte Gilles Duceppe, dont le profil non autorisé a recueilli l'appui de seulement 539 fans.

Mais dans tous les cas, c'est de la petite bière par rapport au succès que connaît Barack Obama: le candidat démocrate a su séduire pas moins de 700 000 facebookiens... Et ce nombre augmente de 5000 par jour.

Presque inconnu au Canada lors des dernières élections fédérales, Facebook est devenu en quelques mois un incontournable pour la classe politique canadienne et américaine.

Le site de réseautage social compte 67 millions de membres à l'échelle planétaire, dont près d'un million au Québec, selon un sondage Ipsos-Descaries publié cette semaine par le portail Branchez-vous.com.

«C'est une manne pour les politiciens qui cherchent à rejoindre un public peu intéressé par l'actualité», explique Christine Williams, professeure de science politique au Bentley College et auteure de deux études sur la question.

En acceptant d'appuyer un politicien, les membres de Facebook font automatiquement savoir à tout leur cercle d'amis virtuel leur choix politique sur leur «mur», un application qui fait office de journal public.

«Cette fonction est en train de changer la dynamique politique électorale, avance Mme Williams. De façon classique, les politiciens ont toujours tenté d'obtenir l'appui d'un maximum de personnalités connues ou de groupes de pression influents lors de leur course. Maintenant, avec les réseaux sociaux sur l'internet, le fait d'obtenir l'appui de simples individus est devenu payant. Ce sont les électeurs de la base qui deviennent les leaders d'opinion.»

En conséquence, le même phénomène qui s'était produit au tournant des années 2000 avec les sites web de candidats est en train de se produire avec Facebook. «Un candidat qui n'a pas de profil sur Facebook ou sur MySpace paraît suspect; il donne l'impression qu'il a des choses à cacher», estime la spécialiste.

Contrôle, dérapages et malaises

Officiellement, les quatre partis politiques à Ottawa sont tous favorables à l'idée que leurs députés utilisent le Facebook. Officieusement, le Parti conservateur l'est cependant moins. Aucun de ses députés québécois n'y apparaît, pas même le lieutenant québécois de Stephen Harper, Lawrence Cannon. Le profil du premier ministre, orné d'une photo de M. Harper posant avec femme et enfants, est par ailleurs assez limité en matière d'interactivité. Les visiteurs peuvent y consulter une petite biographie, visionner des vidéos ou regarder des photos d'un Stephen Harper plutôt décontracté. Mais il n'y a aucun moyen d'y laisser le moindre commentaire.

Chez les libéraux, l'approche est tout autre.

«Les gens peuvent faire les commentaires qu'ils veulent sur le profil de Stéphane Dion. Tant que ce n'est pas sexiste, raciste ou grossier, nous ne les enlèverons pas. C'est dans la nature du web de pouvoir s'exprimer», explique une source qui préfère garder l'anonymat. Résultat: parmi les 3000 commentaires laissés sur le profil de M. Dion depuis le début février, des remarques gênantes côtoient les éloges partisans.

«Ayez des couilles! Déclenchez des élections, autrement, je vais voter pour le NPD», écrit notamment Jason Wettstein de Vancouver. «Tu sais quoi, trou du cul! C'est des gens comme toi qui souhaitent rien de mieux que de voir le Canada sucer les mamelons de George Bush. Tu me rends malade», écrit Terrence Abate, de Kingston, en Ontario.

Depuis quelques mois, des situations gênantes pour le Parti libéral se sont aussi produites sur les profils de candidats ou de députés. Denis Coderre, qui ne cache pas sa relation d'amour avec le réseau social, s'est notamment mis dans l'embarras à la fin janvier en s'adonnant au jeu Friends for Sale!, une application très populaire sur Facebook qui consiste à «acheter» des membres du site contre de l'argent virtuel.

Une fois acquis, les participants deviennent les «animaux» (pets) de l'acheteur. M. Coderre avait dans son portefeuille animalier cinq jolies jeunes femmes (dont deux animatrices connues) lorsque La Presse s'est intéressée au jeu. Le député a aussitôt désinstallé Friends for Sale!

«Facebook, c'est pour moi une belle façon d'atteindre les électeurs. J'envoie des notes de politique aux membres et je leur demande leur point de vue sur plein de sujets comme l'Afghanistan. Il y a aussi des jeux auxquels je participe de temps en temps. Mais il faut faire attention. Parmi les personnes avec qui j'ai joué (à Friends for Sale!), il y a deux comédiennes que je connais, et les trois autres sont aussi des personnes que je connais bien. En aucun temps je ne voudrais que les gens aient l'impression que je manque de respect», a alors indiqué M. Coderre, visiblement mal à l'aise. L'accès à son profil est depuis restreint à ses amis seulement.

Justin Trudeau, qui brigue la circonscription de Papineau, a aussi laissé entendre pendant plusieurs semaines sur Facebook qu'il était député alors qu'il n'est toujours pas élu. L'affaire a fait des vagues dans le Canada anglais, mais M. Trudeau a toujours affirmé que la faute incombait à Facebook.

Thierry Giasson, spécialiste de la communication politique à l'Université Laval, constate cependant que la plupart des politiciens qui s'affichent sur Facebook ont une «présence prudente».

«Qu'un politicien comme Denis Coderre s'en serve de façon plus ludique ne m'étonne pas. C'est un homme politique dont la bonhomie et l'attitude populiste sont bien connues. Si son parti était au pouvoir, ou s'il avait un poste de ministre, je suis cependant persuadé que M. Coderre ne s'afficherait pas autant. S'il le fait maintenant, c'est parce que ça lui permet de démontrer qu'au-delà de la figure politique, il est lui aussi un citoyen comme les autres.»