Les yeux mis-clos, un hip cat fixe l'infini sous son casque d'écoute. Tapissant le Palais des Festivals, l'emblème de Napster surplombe la Croisette avec l'inscription suivante: THE BIGGEST BRAND IN DIGITAL MUSIC. Rien de moins pour mettre la table au MidemNet, volet numérique du 40e Marché international de la musique.

Les yeux mis-clos, un hip cat fixe l'infini sous son casque d'écoute. Tapissant le Palais des Festivals, l'emblème de Napster surplombe la Croisette avec l'inscription suivante: THE BIGGEST BRAND IN DIGITAL MUSIC. Rien de moins pour mettre la table au MidemNet, volet numérique du 40e Marché international de la musique.

Napster, pire ennemi de la musique «légale» en 2000, est désormais considéré comme une des marques les plus crédibles de la révolution numérique, avec plus d'un demi-million d'abonnés à un répertoire immense. L'industrie de la musique n'en est pas à sa première contradiction!

Depuis le début de cette décennie, n'a-t-on pas traversé tout le spectre des perceptions? Optimisme débordant avec la convergence des contenus, panique avec l'expansion phénoménale des systèmes peer-to-peer, vagues de répression judiciaire, musculation des lois sur le droit d'auteur, retour de l'optimisme industriel, et, finalement, nous voici en 2006 avec une industrie de la musique contrainte de partager les revenus de la distribution électronique avec les nouveaux acteurs qui la font vraiment fructifier.

L'érosion des ventes de CD est certes moins considérable qu'il y a deux ou trois ans, elle n'en demeure pas moins constante, inéluctable- plus ou moins 5 % en 2006. La distribution électronique, elle, ne représente que 6 % du chiffre d'affaires de la musique, nous a-t-on rappelé hier. Et plus des trois quarts des revenus de ce 6 % proviennent des ventes de sonneries téléphoniques!

À Cannes, on parle néanmoins d'une croissance spectaculaire. Plus de 420 millions de chansons ou pièces musicales ont été téléchargées en 2005. La plus célèbre boutique en ligne iTunes Music Store a largement dépassé le demi-milliard de téléchargements légaux depuis sa naissance au printemps 2003. Les services légaux d'abonnement mensuel en ligne, pour leur part, ont aussi énormément progressé: 500 000 abonnés chez Napster, 1,5 million d'abonnés chez Rhapsody, croissance rapide chez Yahoo! Music et Music Now.

La portion de musiques légalement distribuées en ligne demeure tout de même modeste, les échanges non autorisés continuent de dominer outrageusement.

«On ne peut baisser les bras lorsqu'on constate que le téléchargement légal en France, c'est-à-dire 20 millions en 2005, ne représente que 2 % des échanges de contenus sur Internet», soulève Jean-François Cécillon, président d'EMI pour le continent européen, certes favorable aux sanctions prévues par les lois actualisées sur le droit d'auteur.

Sollicité de toutes parts

«Il n'y a pas que la gratuité qui fait mal à la musique, ajoute Eric Nicoli, président d'EMI-monde. Mieux éduqué, plus raffiné, plus exigeant, le consommateur n'a jamais été autant sollicité par un nombre incroyable de produits culturels. Dans ce contexte, je crois que la distribution physique est appelée à jouer un rôle crucial dans notre industrie. Le potentiel de la distribution électronique est immense, il nous faut en ce sens proposer au consommateur une expérience sans irritants. Et, puisqu'il nous faut vivre avec le déclin progressif de la distribution physique de la musique, il nous faudra partager l'assiette des revenus avec les autres acteurs de l'industrie des contenus numérisés.»

On aura compris qu'Eric Nicoli appelle à une plus grande souplesse dans l'industrie de la musique, à une meilleure collaboration entre les différents maillons de la «chaîne alimentaire».

«Il faudra admettre que le verrouillage des contenus est une erreur colossale. Les jeunes consommateurs ne veulent absolument pas de système anti-copies, ils désirent disposer de leur musique comme ils le désirent. Ils ne veulent pas d'une musique minée», lance à son tour le respecté Peter Jenner, qui fut entre autres manager de Pink Floyd et de The Clash.

Place au forfait mensuel

Au fil des discussions menées hier au MIDEM, il apparaît de plus en plus clair que le modèle d'affaires voué à une réelle longévité repose sur l'accès illimité à d'immenses répertoires sur la base d'un forfait mensuel.

«Actuellement, il existe sur le marché plusieurs dizaines de baladeurs numériques compatibles avec de tels systèmes d'abonnement où le transfert des contenus se fait en toute légalité. Télécharger 10 000 chansons sur un iPod coûte 10 000 $. Avec notre service, il en coûte 10 $ pour obtenir le même résultat», insiste Amit Shafrir, président des services aux consommateurs de la firme américaine AOL.

Son collègue de Yahoo! Music, David Goldberg, en remet: «Chez Yahoo!, nous croyons que la musique sera tôt ou tard entièrement numérisée. Ça prendra du temps, mais la musique finira par disparaître de la radio traditionnelle et des CD, on y accédera à très faible coût. Et il y aura certes moyen d'en rémunérer équitablement les créateurs. L'industrie de la télévision ne détermine-t-elle pas la valeur économique de ses contenus en évaluant leur l'impact?»