Les espoirs de forte croissance continuent d'attirer les investisseurs spécialisés dans le capital-risque vers le secteur technologique, mais certains commencent à tempérer leur optimisme face à l'envol sans précédent des valorisations.

«Nous essayons d'être plus disciplinés dans les paris que nous faisons», expliquait ainsi Byron Deeter, un partenaire du fonds Bessemer Ventures qui a notamment investi dans des startups comme Pinterest, cette semaine lors d'un débat à la Fortune Brainstorm Tech Conference à Aspen, dans le Colorado.

L'argent afflue actuellement à un rythme effréné pour les startups non cotées du secteur. La société de recherche Mattermark évaluait ces financements de capital-risque pour des sociétés américaines à 17,1 milliards de dollars au deuxième trimestre, après 15,65 milliards sur les trois mois précédents.

Le débat sur une possible bulle est aussi alimenté par la multiplication des «licornes», les startups non cotées valorisées à plus d'un milliard de dollars (et même pour certaines bien au-delà). La société de recherche CB Insight en compte aujourd'hui 188 dans le monde, affichant une valorisation collective de 447 milliards de dollars.

«Les investissements les meilleurs et les plus enthousiasmants sont ceux qui semblent les plus inconfortables, les plus surévalués», argumente Bill Maris chez Google Ventures, qui a notamment investi dans l'une des plus grosses «licornes», le service de réservation de voitures avec chauffeur Uber émargeant à plus de 40 milliards de dollars.

«Cela fonctionne jusqu'ici, mais quand la musique s'arrêtera (les investisseurs) se retireront à la vitesse de l'éclair», prévient Byron Deeter.

Plus dure la chute

Quinze ans après l'explosion de la bulle internet qui avait dévasté le secteur, un nouveau désastre est-il en préparation?

«Les gens comparent 2015 à la dernière bulle, mais ils perdent de vue le fait qu'il n'y avait pas de téléphones intelligents en 2000», fait valoir John Doerr de Kleiner, Perkins, Caufields & Byers, une société d'investissement ayant notamment soutenu les aventures de géants internet comme Facebook, Amazon et Google. «Ce n'était pas possible de distribuer un milliard d'exemplaires d'une nouvelle application en moins d'une semaine. Les marchés que nous visons (aujourd'hui) sont beaucoup plus grands».

S'il est persuadé qu'on peut toujours «avoir de bons retours» sur investissement dans le secteur, John Doerr appelle malgré tout à faire «super attention» avant d'injecter de l'argent dans une startup semblant proche d'une entrée en Bourse.

Jusqu'à récemment, les startups ayant besoin de lever des centaines de millions de dollars se lançaient en Bourse, une opération exigeant «d'évaluer de manière vraiment rigoureuse les finances», souligne Dayna Grayson de New Enterprise Associates, qui a investi dans quelque 300 sociétés technologiques et de santé.

«Quand on fait un investissement privé, on regarde les finances une fois ou deux avant d'aller annoncer l'accord», poursuit-elle. «C'est très différent. On peut retarder l'entrée en Bourse et retarder la rigueur financière» qui va avec.

Lorsqu'on décide d'investir dans une startup non cotée, «nous tombons amoureux et nous fermons les yeux», reconnaît aussi Byron Deeter. «Nous sommes persuadés que nous serons renfloués par les taux de croissance, et on voit des taux de croissance spectaculaires», ajoute-t-il.

Plus prudents, certains investisseurs préfèrent rester à l'écart, à l'image du fonds Silver Lake, qui avait investi dans le géant chinois du commerce électronique Alibaba et aidé le groupe informatique Dell à se retirer de la Bourse, mais juge beaucoup de sociétés technologiques «fondamentalement mal évaluées», en se basant sur leurs flux de trésorerie, selon un de ses partenaires, Egon Durban.

Actuellement, «on a beaucoup de liquidités», note-t-il, mais si les marchés des actions commencent à tomber, les sociétés non cotées vont voir leur valeur fondre «à un rythme beaucoup plus rapide».

«Si le marché perd 10%, le secteur non coté peut tomber de 30% voire jusqu'à plus d'offres» d'investissement du tout, prédit-il.