Le spectaculaire rachat de la messagerie WhatsApp provoque un soudain regain d'intérêt pour Telegram, l'application concurrente lancée par le jeune patron du «Facebook russe», et envenime la guerre ouverte engagée à la tête de ce réseau social très prisé.

Pavel Dourov a fondé VKontakte (VK) en 2006 à sa sortie de l'université de Saint-Pétersbourg et a transformé son site, à l'interface proche de son grand frère américain, en un réseau ultra-dominant dans l'ex-URSS, avec aujourd'hui plus de 100 millions d'utilisateurs.

Mais c'est pour son nouveau bébé que ce jeune génie de l'internet russe de 29 ans au regard sombre, amateur de provocation, fait désormais parler de lui.

Lancé en août, Telegram, qui permet d'échanger messages, photos, vidéos et fichiers informatiques, a connu ces derniers mois un succès grandissant qui s'est brusquement accéléré depuis que Facebook a mis 19 milliards de dollars sur la table pour s'emparer de WhatsApp.

L'afflux de nouveaux utilisateurs a connu un pic de près de cinq millions d'inscriptions le 23 février. L'application a affirmé s'être placée ce jour-là en tête des téléchargements sur les iPhone dans 48 pays.

Communications ultra-sécurisées

Sur l'influent site russe consacré aux nouvelles technologies siliconrus.com, le blogueur Alexandre Lachkov a expliqué le phénomène par les craintes des utilisateurs de WhatsApp de voir arriver de la publicité sur l'application sous la houlette de Facebook, condamné à «monétiser» ses services pour satisfaire ses actionnaires.

Il a aussi cité la question de la protection des données personnelles, reproche fréquent adressé au réseau américain.

Depuis son lancement, Telegram a bâti sa réputation sur la rapidité, mais surtout la sécurité, avec des communications cryptées des deux côtés et la possibilité de mener des «conversations secrètes» sans trace sur les serveurs. Il propose 200 000 dollars à quiconque parviendra à décrypter des échanges de messages.

Après avoir prôné la transparence et le partage libre d'informations sur VK (y compris films et musique), Pavel Dourov a fait de la protection de la vie privée son nouveau credo. Il a proposé au fugitif américain Edward Snowden, à l'origine de révélations sur les pratiques du renseignement américain et désormais en Russie, de travailler avec lui.

Les spéculations vont bon train sur l'avenir de Telegram, potentielle cible de choix dans les grandes manoeuvres autour des messageries sur internet, de plus en plus prisées des utilisateurs au détriment des SMS.

Outre WhatsApp, l'application Viber, qui propose des appels vocaux en plus des messages écrits, vient d'être rachetée par le japonais Rakuten pour 900 millions de dollars.

Telegram a tranché: «C'est notre ADN: pas de vente, pas de publicité, pas d'argent apporté par des investisseurs», a-t-il indiqué sur Twitter.

Conflit d'intérêts?

Pour autant, son succès fait grincer des dents. Le fonds d'investissement United Capital Partners (UCP), qui détient 48 % de VK, accuse depuis des mois Pavel Dourov d'avoir utilisé les ressources de la société pour créer Telegram indépendamment du réseau social.

Le turbulent patron ne cesse de démentir tout conflit d'intérêts et assure que Telegram, développé via une société basée à Berlin, est un projet sans rapport avec VK.

Mercredi, le fonds a haussé le ton et annoncé s'en remettre à la justice, «ayant épuisé toutes les possibilités d'arriver à un accord raisonnable».

Le rachat de WhatsApp lui a fourni un nouvel argument. Pour UCP, la somme spectaculaire mise sur la table par le groupe américain démontre l'intérêt pour un réseau social de contrôler une messagerie et Pavel Dourov a porté préjudice à VK en développant Telegram indépendamment.

Pour l'instant, le jeune homme, qui a récemment dénoncé les méthodes proches du FSB (l'héritier du KGB) d'UCP, garde le soutien des actionnaires majoritaires, dominés par le milliardaire Alicher Ousmanov.

La holding de ce dernier, USM, a dénoncé une «stratégie de menace, de chantage et d'intrigues» destinée à prendre le contrôle sur la direction du réseau social.

Le conflit a déjà eu des conséquences de taille: la sortie du capital en janvier de Pavel Dourov, qui a vendu ses 12 % pour plus de 400 millions de dollars tout en restant le directeur général de VK, ainsi qu'au report sine die du projet d'introduction en Bourse.