En raison d'un prix jugé trop élevé et de la rareté de l'offre, le marché du livre numérique québécois traîne toujours la patte. Mais cela pourrait changer au cours des prochains mois, alors que près de 750 bibliothèques publiques hériteront d'une toute nouvelle plateforme de location de livres numériques.

Conçue par De Marque, de Québec, pour le compte du Réseau Biblio du Québec, cette plateforme sera mise à l'essai dès décembre, en vue d'une activation plus officielle tôt en 2012. De Marque a également conçu l'entrepôt de livres numériques de l'Association nationale des éditeurs de livres (ANEL). Les deux plateformes auront donc plusieurs similitudes.

Chose sûre, elles stimuleront toutes deux l'adoption du livre numérique au Québec. Selon le Cefrio, le marché des acheteurs québécois de «livrels» (livres électroniques) a doublé au cours de la dernière année, passant de 4 à 7,8% de la population. C'est encore peu, mais c'est le signal d'une tendance lourde à laquelle il faudra s'adapter rapidement, avancent les experts.

«Le marché est encore embryonnaire, mais le livre numérique va avoir une place plus importante que jamais dans l'édition québécoise, au fil des prochaines années. Sauf que pour le moment, la demande reste faible en raison d'une offre plus faible encore», estime Jacqueline Labelle, directrice générale du Réseau Biblio de la Montérégie, membre du comité du livre numérique pour l'ensemble de la province.

Le numérique a des avantages intéressants pour les bibliothèques désireuses d'adopter cette nouvelle technologie. Elles n'auront plus à se casser la tête avec les retards de location, puisque les fichiers seront chronodégradables: ils s'effaceront après 21 jours. En outre, les bibliothèques pourront rejoindre des régions moins habitées qui n'auront qu'à accéder à un site web pour louer un fichier à installer sur une liseuse ou tout autre appareil mobile compatible.

La menace Amazon

Aux États-Unis, les bibliothèques publiques se sont lancées massivement dans la location numérique plus tôt cet automne, alors qu'Amazon, poids lourd du livrel, a ouvert sa plateforme Kindle à ce type de location. Selon la publication spécialisée Library Journal, l'offre doublera annuellement jusqu'à atteindre 8% de l'offre totale des bibliothèques publiques, au plus tard dans cinq ans.

Le phénomène a rapidement pris une tournure économique: de nombreux éditeurs craignent désormais de perdre des ventes. Selon eux, les lecteurs n'auront qu'à télécharger un livre numérique assez longtemps pour le lire, sans avoir à l'acheter.

Il pourrait aussi y avoir un impact au Québec. Le prix des livres numériques est en moyenne 20% moins cher que les imprimés, ce que plusieurs trouvent encore trop cher. Amazon vend ses livrels 10$, ce qui ne représente souvent que le tiers du prix de l'imprimé. Sans descendre jusque-là, les éditeurs pourraient affiner un peu plus leur stratégie numérique, croit Mme Labelle.

«Il se vend beaucoup de liseuses au Québec, mais les livrels sont plutôt rares et coûtent cher. Alors que font les lecteurs? Ils lisent en anglais ou achètent des livres en France. Si l'industrie québécoise ne s'ajuste pas, les gros acteurs étrangers comme Amazon vont nous écraser.»

Du côté des bibliothèques publiques, la location sera d'abord gratuite, mais celles qui le souhaitent pourraient éventuellement exiger des frais. Entre-temps, l'objectif est simple: élargir l'offre de contenu numérique d'ici. Et, accessoirement, aider l'industrie québécoise à mieux profiter de ce virage numérique.