Le livre électronique est à nos portes. Après avoir réussi une percée dans les marchés américain et européen, les e-books viennent de faire leur entrée au Québec, où l'offre de livres en version numérique prend de l'ampleur. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que le livre électronique ne s'introduise massivement dans les chaumières québécoises. À la suite des Assises internationales de l'imprimé et du livre électronique qui se sont déroulées cette semaine, à Montréal, Le Soleil fait le point.

Si on en croit certains apôtres du numérique, le papier serait condamné à une mort certaine. Rien n'est plus faux, rétorque Hervé Fischer, fondateur de l'Observatoire international du numérique de l'UQAM. «Ne soyons pas des intégristes du numérique. Pourquoi faudrait-il assassiner le papier pour qu'on soit à l'aise avec le numérique?» a-t-il lancé cette semaine, alors qu'il participait à une table ronde à l'occasion des Assises internationales de l'imprimé et du livre électronique, qui se sont déroulées à Montréal. «Il n'y aura pas de disparition du papier, a-t-il ajouté. Nous sommes plutôt dans une logique de complémentarité.»

Internet est un excellent outil d'accès et de diffusion pour le livre, rappelle-t-il. Des milliers de livres épuisés, qui ne seront pas réédités, sont désormais offerts en ligne. De nombreux manuscrits et textes inédits sont accessibles en quelques clics.

Malgré tous les progrès technologiques des dernières années, la lecture à l'écran reste par ailleurs encore bien différente de la lecture sur papier, ajoute-t-il. Les amoureux de pages froissés et de beaux livres faits de papier glacé sont là pour rester. «Je fais à la fois l'éloge du livre et d'Internet, qui peuvent très bien cohabiter», résume-t-il.

Mais la complémentarité n'est pas une raison pour rester les bras croisés, ajoute M. Fisher. Le marché de l'édition électronique se développe, et le Québec ne doit surtout pas manquer le bateau. «Quand j'entends des gens dire qu'il faut préserver la culture québécoise et qui ne sont pas capables d'investir pour développer du contenu en ligne, j'y vois une contradiction. Pendant ce temps, il y a des jeunes qui achètent du contenu américain ou français en ligne, à défaut de trouver du contenu québécois. Il faut en faire plus au niveau du numérique au Québec», plaide-t-il.

Un modèle québécois distinct

C'est justement pour assurer leur place sur le marché du livre numérique que les éditeurs québécois ont créé, il y a près d'un an, l'entrepôt numérique. Mise en place par l'Association nationale des éditeurs de livre (ANEL) et la firme De Marque, cette plateforme électronique permet aux bibliothèques et librairies en ligne de s'y approvisionner. Pour l'instant, l'entrepôt compte 1500 fichiers, et l'objectif est d'en arriver à 4000 d'ici la fin de l'année.

Contrairement au marché américain où Amazon s'est accaparé le plein contrôle sur le prix et la diffusion des livres, les éditeurs québécois gardent la totale maîtrise des oeuvres qu'ils emmagasinent dans l'entrepôt virtuel. «Les éditeurs décident du prix de leurs livres numériques et s'ils veulent rendre disponibles gratuitement des extraits», explique Clément Laberge, responsable du projet d'entrepôt numérique chez De Marque.

Pour l'instant, tant que le marché en est à ses débuts et que les volumes de vente ne sont pas encore au rendez-vous, les éditeurs y vont «à tâtons», selon le type d'auteur et de marché. Résultat : le mince écart de prix entre les versions papier et numérique suscite la grogne des consommateurs, qui s'attendent à payer beaucoup moins cher pour le téléchargement d'un roman.

«Il faut faire la différence entre le marché anglophone et le marché francophone», réplique Bianca Drapeau, directrice du marketing aux Presses de l'Université du Québec, où l'ensemble des ouvrages ont été numérisés au cours des dernières années. Le risque, en diminuant considérablement les prix, sera bien réel lorsque le marché aura basculé vers une majorité de ventes de livres numériques, explique-t-elle. «Est-ce que les petites maisons d'édition auront alors les moyens de continuer à produire des livres?»

Même si le Québec commence néanmoins à prendre sa place dans le marché de l'édition numérique, l'aventure n'en est encore qu'à ses débuts. Seulement une trentaine de maisons d'édition alimentent présentement l'entrepôt numérique, alors que l'ANEL regroupe 125 éditeurs québécois.

Gilles Herman, directeur général des Éditions du Septentrion, y voit une belle opportunité. «Il ne faut pas diaboliser le numérique. Si un auteur propose du contenu intéressant, je veux trouver le meilleur moyen de diffuser ce contenu. Et le numérique permet une belle ouverture sur le monde.»

Mais d'autres joueurs ne sont pas prêts à sauter dans le train de l'édition numérique. Chez Renaud-Bray, on estime qu'il est encore trop tôt pour se lancer dans cette aventure. «Le livre papier a toujours sa valeur, les gens y sont attachés», affirme Blaise Renaud, directeur commercial chez Renaud-Bray. «Pour l'instant, les liseuses électroniques restent dispendieuses, et les formats de fichiers sont encore trop nombreux, ajoute-t-il.

«Lorsqu'on sentira que le marché est prêt et que des solutions intéressantes pourront être offertes à nos lecteurs, on ira dans cette voie. Mais pour l'instant, ce n'est pas vrai que le livre électronique est devenu un objet du quotidien.» Ce n'est peut-être toutefois qu'une question de temps.

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