Mine de rien, une petite révolution informatique se prépare dans différents laboratoires du monde. Elle pourrait être à nos portes, clame une firme canadienne depuis quelques mois. Ou elle pourrait se faire attendre pendant encore une quinzaine d'années, comme le croient nombre d'experts. Mais dans tous les cas, elle risque de causer des maux de tête aux spécialistes de la sécurité informatique si l'on s'y prépare mal. Petit saut dans l'avenir.

Le prochain tournant dans l'histoire de l'informatique devrait, si la tendance se maintient, provenir de la mécanique quantique, une branche de la physique qui étudie le comportement parfois très bizarre de la matière à l'échelle des atomes. Grâce à un phénomène nommé «superposition des états» (voir notre encadré), la puissance des ordinateurs sera multipliée; des tâches qui prennent des mois, voire des années de calculs pour les machines actuelles n'occuperont un ordinateur quantique que pendant quelques minutes.

Cela ouvrira de merveilleuses possibilités à la science, s'enthousiasme Alexandre Blais, professeur de physique et d'informatique quantique à l'Université de Sherbrooke. «J'ai des collègues, ici, dont les travaux avanceraient beaucoup plus rapidement s'ils avaient des ordinateurs plus puissants pour leurs simulations. Il y aura aussi des applications industrielles, notamment en pharmacie.»

Le problème et la solution

Mais l'arrivée de ces ordinateurs sonnera aussi le glas des systèmes d'encryptage qui sécurisent nos transactions électroniques. Ces systèmes de défense, qui résistent très bien aux attaques des machines actuelles, seront en effet aisément percés par les ordinateurs quantiques. Ce ne sera pas un problème pour longtemps, assure M. Blais, parce que «la mécanique quantique nous permet aussi de faire des codes incraquables, donc on a le problème et la solution en même temps».

Cependant, pour bénéficier de cette cryptographie quantique - que tous les spécialistes qualifient vraiment d'«inviolable», notons-le - , il faudra un ordinateur quantique. Il y aura donc nécessairement une période de transition où les appareils classiques côtoieront leurs cousins quantiques, ce qui laissera les premiers vulnérables aux attaques des seconds.

Directeur de l'Institute for Quantum Computing de l'Université de Waterloo, en Ontario, Raymond Laflamme, un physicien natif de Québec, croit que cela sera un réel problème. Et «cela n'arrivera pas seulement quand on aura des ordinateurs quantiques, avertit-il. Ça commence aujourd'hui, parce que si tu veux garder des informations secrètes pour longtemps (comme un secret d'État, ou simplement un dossier médical), il faut que tu penses non seulement aux technologies qui pourraient les décrypter aujourd'hui, mais aussi à celles qui pourront les décrypter dans quelques années».

Le premier ordinateur quantique du monde

Difficile, cependant, de prévoir quand le problème surviendra. La firme de Vancouver D-Wave Systems a annoncé en 2007 avoir mis au point le «premier ordinateur quantique commercial du monde» et prévoit en assembler un autre d'une puissance de 1024 qubits - l'unité mesurant la performance des ordinateurs quantiques - d'ici la fin de l'année.

Si c'est bien le cas, de gros problèmes pourraient se poser pour le commerce électronique, mais les deux physiciens interviewés par Le Soleil (comme bien d'autres, d'ailleurs) en doutent fort. «Ça (les prédictions de D-Wave) me semble très, très optimiste. C'est difficile de faire des commentaires sur ce qu'ils ont fait, parce qu'on ne sait pas vraiment ce qu'ils ont fait. On a vu les communiqués de presse, mais il n'y a pas de détails scientifiques dans ça, et ils devront les dévoiler s'ils veulent convaincre», dit M. Blais, qui a d'ailleurs déjà travaillé avec les fondateurs de D-Wave.

M. Laflamme ne prévoit pas que les ordinateurs quantiques soient assez forts pour briser les codes actuels avant une quinzaine d'années, mais il souligne qu'il faut commencer maintenant à chercher les solutions. «La seule façon d'éviter le problème, c'est de développer la cryptographie quantique très rapidement, ou alors d'inventer une nouvelle façon d'encoder qui n'utilise pas les problèmes mathématiques qui sont utilisés aujourd'hui.»

Et il faut souvent une dizaine d'années, dit-il, pour mettre au point un nouveau système cryptographique...