C'était lors d'un modeste tournoi satellite à Boucherville, en juillet 1997.

Un grand sec de 21 ans, Frédéric Niemeyer, inconnu du public, inconnu même des dirigeants de Tennis Canada, après avoir passé les quatre dernières années à jouer pour l'université Middle Tennessee State, et sans commanditaire, avait su faire tourner quelques têtes après une étonnante percée jusqu'en demi-finale.

À la fin du tournoi, Kennex acceptait de lui donner quelques raquettes et K-Swiss allait lui fournir des espadrilles même si, à 21 ans, on ne fondait pas de grands espoirs en lui.

Quelques mois plus tard, décidé à tenter sa chance sur le circuit professionnel, Niemeyer allait affronter lors d'un autre modeste tournoi satellite, en Suisse cette fois, un jeune loup classé comme lui à plusieurs centaines des rangs du premier rang mondial, mais nettement plus talentueux, un certain Roger Federer. Devant deux spectateurs, maximum.

Douze ans ont passé. Federer est devenu le plus grand joueur de l'histoire du tennis aux yeux de plusieurs, avec quinze titres en Grand Chelem, un record. Niemeyer, désormais 487e au monde, a connu une longue carrière, au-delà des attentes, qu'il est sur le point de conclure. Ironie du sort, son dernier match à Montréal l'opposait au Suisse, devant 11 000 spectateurs sur le court central du stade Uniprix.

Niemeyer s'est incliné, évidemment, 7-6(3) et 6-3, non sans avoir offert une performance impressionnante.

«De terminer ma carrière sur une telle note, contre le meilleur joueur peut-être de l'histoire, devant ma foule, je ne pouvais espérer mieux... sauf gagner le tournoi», a mentionné un Niemeyer serein après le match.

Frédéric Niemeyer a joué douze ans en Coupe Davis. Il a participé à deux Jeux olympiques. Il a enregistré des victoires aux dépens de Felix Mantilla et Fernando Gonzalez, d'anciens top vingt au monde. Mardi, il s'agissait en quelque sorte d'une récompense pour ses douze ans d'erreurs. Tous n'ont pas cette chance.

Malgré le score, Niemeyer n'a jamais menacé Federer, qui disputait un premier match depuis sa victoire historique à Wimbledon. Mais il a su exceller dans ce qu'il a toujours réussi le mieux: bombarder l'adversaire de services de plomb. Il a fallu attendre la deuxième manche avant de voir le numéro un mondial le briser une première fois, et ainsi mettre le match hors de la portée du Québécois.

Federer a su gagner les points opportuns même s'il n'avait pas l'adversaire idéal pour trouver un certain rythme, et il a servi encore mieux que son rival. «Il sert tellement bien, a noté Niemeyer à propos de son adversaire. Son service est très difficile. Dans la première manche, je pense qu'il avait un taux de réussite de 81% sur ses premières balles. Ce n'est pas facile. Il vous force à commettre des erreurs. J'ai eu quelques occasions, et j'ai tenté les coups gagnants, sans succès. Mon entraîneur m'avait dit d'y aller et j'y suis allé. Je n'ai pas de regrets.»

Bon prince, Federer a raccompagné Niemeyer à sa sortie du terrain. «On se connaît depuis longtemps, depuis ce match satellite en Suisse, quand on se battait pour quelques points au classement. Douze ans plus tard, on se retrouve sur le terrain devant des gradins remplis de 11 000 spectateurs. C'est rare qu'on puisse affronter un joueur sur le point de quitter le circuit. Je me demande toujours si le joueur est en paix avec sa décision. Je lui ai posé la question à sa sortie du court et sa réponse m'a réconforté.»

Niemeyer, 33 ans, jure qu'il ne changera pas sa décision même s'il vient de disputer un bon match au meilleur joueur au monde. Mais il avoue qu'il aura de la difficulté à se motiver lors des quelques tournois qui lui reste à jouer. «Je verrai comment je me sens. Je ne terminerai peut-être pas la saison. Pour revenir sur ma décision, il m'aurait fallu gagner ce tournoi, obtenir une invitation pour le US Open et gagner le US Open...»

Photo: André Pichette, La Presse

Frédéric Niemeyer peut être fier de la performance qu'il a livrée.