« L’aventure rocambolesque » de la sélection haïtienne de futsal en 2021, rassemblant essentiellement des joueurs issus de la diaspora établie à Montréal et ailleurs au Québec, est une histoire de résilience et de communauté.

« Dans le compte de l’association de futsal haïtienne, il n’y avait pas d’argent, raconte Alexandre Kénol à des jeunes du quartier Saint-Michel lors d’une soirée à la Maison d’Haïti. Et là-dedans, on devait aller jouer contre le Costa Rica. »

La sélection tentait de se rendre au Guatemala pour participer aux qualifications pour la Coupe du monde de futsal, une forme de soccer intérieur se jouant à cinq contre cinq, en mai dernier.

Le projet, parsemé d’embûches, a culminé jusqu’à une avance de 2-0 contre le Canada lors du deuxième match, avant que les espoirs ne s’effondrent en toute fin de deuxième mi-temps.

L’équipe haïtienne s’est finalement inclinée 4-2 contre l’Unifolié, après avoir baissé pavillon 7-0 face au Costa Rica. Mais jeudi dernier à la Maison d’Haïti, où des joueurs étaient aussi présents pour raconter leur épopée à une cinquantaine de personnes, ce ne sont pas les deux défaites qui ressortaient du récit.

« C’était un projet communautaire à la base, nous explique Kénol, devenu entraîneur de l’équipe à défaut d’autres options. C’est la communauté qui nous permet de nous en sortir. C’est ça, la beauté de la chose. »

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Alexandre Kénol

Dans une période de doute, dans une période où ce n’était pas facile d’aller chercher des sous, il y a des gens qui nous ont fait confiance, qui nous ont dit : “Allez-y !” […] Si on pouvait faire ça même à l’échelle de notre pays d’origine, il y a beaucoup de choses qui iraient mieux.

Alexandre Kénol

Son capitaine Shaquille Michaud renchérit : « Quand tout le monde se met ensemble, qu’on est sincères dans ce qu’on veut faire, on est capables de faire de grandes choses. »

La genèse

Mais leur participation était tout sauf gagnée d’avance.

« Jusqu’à une semaine avant la compétition, on ne savait pas si on allait partir », raconte Alexandre Kénol aux gens rassemblés.

Faisons quelques pas de recul.

Cette « idée folle », dixit Shaquille Michaud, elle est venue d’Alain Grégoire, président de la fédération de futsal haïtienne. Il souhaitait permettre aux joueurs de la diaspora au Canada de représenter leur pays d’origine.

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Shaquille Michaud (au centre) est entouré de Bernick Monfort (à gauche) et Dylan Barthélémy (à droite)

Il s’est rendu à Boston pour rencontrer Jean-Yves Baert, l’ancien président de la fédération de soccer haïtienne, et promouvoir son projet. Ce dernier « ne voulait pas collaborer », selon Alexandre Kénol. Tout l’argent et l’énergie s’en allaient dans le soccer.

« Mais tout le monde est fou dans ce projet-là », raconte Kénol.

Grégoire s’est entêté. Baert a fini par « donner sa bénédiction », mais sans aucun financement de la part de la fédération haïtienne.

Pandémie oblige, le tournoi de qualification prévu en 2020 est reporté. On annonce finalement à la fin de l’année qu’il se tiendra en mai 2021.

S’entraîner « en cachette »

Ça ne laisse que quelques mois à l’équipe pour se préparer. Sans toutefois pouvoir s’entraîner en groupe – du moins légalement –, les gyms étant fermés.

En janvier, malgré la bonne nouvelle issue de la CONCACAF leur annonçant qu’ils allaient pouvoir y participer, on leur apprend qu’ils allaient devoir payer tous les trajets eux-mêmes.

Comme un malheur ne vient jamais seul, la personne qui devait entraîner l’équipe se désiste.

La sélection se retrouve donc sans entraîneur et avec des factures supplémentaires. C’est là que Kénol décide de prendre les rênes de l’équipe.

Les joueurs s’entraînent en premier lieu virtuellement.

« Je vais dans mon garage pour faire des exercices sur Zoom, se rappelle le gardien Steve Charles Jonathas. […] C’était à 6 h du matin, je n’étais pas prêt pour ça. Je travaille la semaine avec un emploi physique. J’ai fait le sacrifice parce que ça me tenait à cœur. »

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Les joueurs de l’équipe de futsal d’Haïti rigolent avant la présentation.

Mais l’entraînement virtuel a ses limites, surtout en vue d’une compétition d’envergure internationale.

En plein confinement, l’équipe use d’imagination pour trouver une façon de s’entraîner en groupe.

Un gymnase privé du Grand Montréal leur a permis de se rassembler « en cachette ». On justifiait les entraînements en groupe en utilisant l’alibi… d’un tournage multimédia.

« On faisait quatre entraînements par week-end, se souvient Kénol. Les gars se levaient, ils y allaient à des heures qui n’étaient pas chaudes pour les policiers. On devait faire ça pendant toute notre préparation. »

Le jeu en valait la chandelle, selon l’entraîneur de la sélection.

Ça ne va pas trop bien au niveau d’Haïti. Ici, on est dans cette période de Black Lives Matter, on a besoin de trouver des modèles noirs. C’est la raison pour laquelle on a pu s’entraîner.

Alexandre Kénol

Mais sans aucune certitude, ce n’était pas toujours facile de motiver ses troupes.

« Certains disaient qu’ils n’avaient pas envie de s’impliquer si ce n’était pas sérieux, explique le capitaine Shaquille Michaud. J’ai trouvé le moyen de convaincre ceux qui avaient des doutes. »

La résilience dans l’incertitude, donc. Mais on parlait plus tôt du soutien de la communauté.

« En deux mois, on a amassé 33 000 $ avec toute l’aide des gens », se réjouit Alexandre Kénol.

« Notre première victoire en soi, c’est qu’on a pu avoir certaines commandites, qu’on a pu prendre les billets d’avion et partir. La communauté nous a beaucoup aidés. »

Encore fallait-il se rendre au Guatemala.

« Le 15 février, personne n’avait son passeport haïtien, se rappelle Kénol, sourire et soupir dans la voix. Les délais sont de neuf mois à un an. On a la compétition dans trois mois. »

Pour faire court : le 3 mai, tout le monde avait son passeport.

Au-delà de la défaite

Bien sûr, il y avait aussi les matchs.

Tous les joueurs interrogés parlent notamment de la fierté de porter le maillot haïtien.

« J’ai grandi dans la culture, explique Shaquille Michaud. Je sais à quel point c’est important, peu importe les circonstances, qu’on se retrouve. La sélection joue, tout le monde est derrière son écran en train d’encourager. »

Mais cette formation haïtienne, constituée de joueurs évoluant notamment dans la ligue de futsal de la Première Ligue de soccer du Québec (PLSQ), se rappellera surtout la belle bataille qu’elle a livrée aux Canadiens.

Bernick Monfort a marqué le premier but de la sélection. Il est fier de parler de son « premier but international ».

Après le deuxième but des siens, Monfort regrette qu’ils se soient « laissés emporter ».

« On pensait que c’était fini contre le Canada, qu’on allait gagner. On a vraiment perdu le match dans les 10 dernières minutes. »

Il regarde vers son coéquipier Dylan Barthélémy, assis à côté de lui lors de la présentation.

« Dylan était le premier à pleurer, et le dernier à pleurer. Ça nous a fait mal. »

Barthélémy s’en est remis et voit aujourd’hui la chose d’un bon œil.

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Dylan Barthélémy (à droite)

Sur le terrain, on n’a pas eu ce qu’on voulait, mais juste d’être arrivés là-bas, c’est quand même un succès. Il faut prendre les victoires comme on le peut.

Dylan Barthélémy

Shaquille Michaud résume bien le message que les joueurs de l’équipe voulaient véhiculer lors de cette soirée.

« C’est important de prendre conscience que la qualité des efforts va déterminer la qualité de tes résultats », illustre-t-il.

« Si tout le monde se met ensemble, tout peut bien aller, ajoute le gardien Steve Charles Jonathas. Si les jeunes continuent à travailler sur eux-mêmes et qu’ils ont confiance en eux, tout peut arriver. »

Un adolescent s’est présenté au micro lors de la période de questions. Il leur a demandé à quel âge on pouvait commencer à jouer au futsal.

La sélection haïtienne est peut-être repartie du Guatemala sans victoire, mais elle n’est pas revenue bredouille.