Impossible de trouver un seul héros à cette soirée un peu folle.

Le Français Yannick Agnel, qui a dominé le 200 mètres libre, 24 heures après avoir mené son pays vers un titre historique au relais libre? L'Américaine Missy Franklin, victorieuse du 100 m dos, moins de 15 minutes après s'être qualifiée pour la finale du 200 m libre? Ou la Lituanienne Ruta Meilutyte, inattendue celle-là, une enfant de 15 ans qui a ravi l'or du 100 m brasse?

Allons-y avec Agnel, qui a fait se déplacer François Hollande, le président de la République, dont il a reçu les félicitations dans la zone d'entrevues, où la cacophonie régnait hier soir, troisième journée des épreuves de natation des Jeux olympiques de Londres.

Sur la première rangée, des dizaines de journalistes français, déjà survoltés par les deux titres de la veille, celui du relais et de Camille Muffat au 400 m libre. Il ne fallait pas être effrayé par la promiscuité quand le grand Agnel s'est avancé, encore soufflé par sa prestation sur ce 200 m d'anthologie.

En 1:43,14, le Niçois de 20 ans a devancé de presque deux secondes le Chinois Sun Yang et le Coréen Taehwan Park, qui se sont partagé l'argent en 1: 44,93.

«Ce temps-là, je ne m'y attendais absolument pas, a dit Agnel d'une voix timide. J'avais un plan de course en tête, mais c'est au-delà de mes espérances. Je suis ravi. C'est un rêve de gosse qui se réalise.»

Incisif à chaque traction, Agnel a mené la course de bout en bout, sans jamais regarder derrière. Comme s'il marchait sur l'eau.

«Je savais que j'étais le plus rapide en vitesse absolue, a expliqué Agnel. Il fallait que je m'extraie du peloton rapidement, ce qui a été fait. Après, j'ai essayé de garder ma vitesse, de terminer avec les tripes sur le dernier 50. Je ne sais pas quoi dire. Je suis content que ça ait marché.»

Même l'Américain Ryan Lochte, champion du monde et roi attendu des JO, était impuissant par rapport à celui qui l'avait knockouté la veille. Deuxième au dernier virage, le Floridien a manqué d'essence et s'est fait remonter par ses deux rivaux asiatiques, terminant quatrième.

Heureusement pour les Américains, repoussés en seconde ligne dans la zone des médias, Franklin et ses collègues dossistes Matt Grevers et Nick Thoman, médaillés d'or et d'argent au 100 m dos, étaient là pour sauver la mise.

À 17 ans, ce que Franklin a accompli est proprement «phelpsien». Qualifiée in extremis pour la finale du 200 m libre avec le huitième temps, elle n'avait que 15 minutes de préparation pour la finale du 100 m dos. Pas le temps donc de retourner à la piscine secondaire. Elle a donc opté pour le bassin de plongeon, situé tout juste derrière le bloc de départ, pour sa nage de retour au calme.

Quelques longueurs et hop! Franklin retournait sous les gradins pour la présentation des finalistes du 100 m dos. Parmi elles, l'Australienne Emily Seebohm, auteure du record olympique la veille. Seebhom est partie comme une bombe, virant sous le rythme du record du monde, mais la grande Franklin a graduellement réduit son avance dans la deuxième longueur, touchant au mur la première pour décrocher le premier titre olympique d'une carrière qui s'annonce brillante.

«Ça dépasse mes attentes un milliard de fois! Je ne pourrais pas être plus heureuse», a exulté Franklin, dont le niveau d'énergie ne baisse même pas en entrevue.

Médaillée de bronze samedi au relais 4 X 100 m libre, Franklin, quintuple médaillée aux Mondiaux, doit participer à sept épreuves à Londres, dont quatre individuelles. Originaire d'Aurora, au Colorado, où a eu lieu la terrible fusillade dans un cinéma il y a 10 jours, «Missy the Missile» détient la double citoyenneté américaine et canadienne. Sa mère est originaire d'Halifax et son père, de St. Catharines, en Ontario.

En matinée, Franklin racontait qu'elle adorait pêcher les palourdes sur les plages de la Nouvelle-Écosse pour la célèbre chaudrée de sa tante. Malheureusement pour le Canada, qui en aurait bien besoin, il ne lui est jamais venu l'idée de nager sous les couleurs de la feuille d'érable. «J'ai grandi aux États-Unis, pays que j'ai appris à adorer, même si j'adore le Canada aussi...»

Comme c'est le cas depuis samedi, l'équipe canadienne a été reléguée à un rôle de faire-valoir dans la piscine. Ce n'est pas un hasard si la salle de presse a été désertée par les collègues anglophones.

Uniques représentantes, les Montréalaises Barbara Jardin (1: 57,91) et Samantha Cheverton (1: 57,98) ont réalisé respectivement les 10e et 11e temps des demi-finales du 200 m libre. Rien de honteux pour les deux recrues, ni de spectaculaire. «Je suis quand même contente d'être 10e. J'étais 12e l'an dernier aux Mondiaux, a rappelé Jardin, 20 ans. Je suis un peu triste d'être à six dixièmes de mon record personnel, mais en même temps, ce sont mes premiers Jeux olympiques. En bout de ligne, c'est donc pas mal bon.»

La pression sera forte sur Brent Hayden, vice-champion du monde du 100 m libre, qui devra composer avec Agnel à partir de mardi.

Pendant ce temps, la Lituanie a obtenu sa toute première médaille olympique en natation aux Jeux olympiques. À sa première finale en compétition internationale, Ruta Meilutyte, une adolescente de 15 ans, a résisté au retour de l'Américaine Rebecca Soni, championne du monde, pour gagner l'or du 100 m brasse. À sa propre stupéfaction et à celle des 17 500 spectateurs présents au Centre aquatique.

Meilutyte vit et s'entraîne depuis deux ans à Plymouth, à 350 kilomètres au sud-ouest de Londres. Ça a fait une bonne histoire pour les collègues britanniques.