Ils arrivent l'un après l'autre, ces colosses de 300 livres avec de la craie sur les joues et de la sueur au front.

Dylan Armstrong traîne aussi un peu de peine, on le voit bien. «Mais au moins, cette fois-ci, je ne rate pas le podium par un centimètre», dit-il. Il parle de sa quatrième place à Pékin.

Sauf que cinquième, quand on est vice-champion du monde, quand on a lancé 22,21 m en 2011 et qu'on termine la soirée avec 20,93 m, c'est décevant. Armstrong était le seul espoir officiel de médaille de l'équipe canadienne en athlétisme.

Vous nous dites que vous êtes bien, mais derrière les portes closes, là, comment vous sentiez-vous? demande un collègue.

Le journaliste essaie parfois d'aller chercher une larme de déception. Mais avec Dylan Armstrong, ça ne fonctionne pas.

«Je suis le même! dit-il en riant très fort. Finir quatrième et cinquième aux Jeux olympiques, y a des choses pires que ça.»

Il va regarder tout ça avec son entraîneur, un légendaire lanceur de marteau de l'époque soviétique, Anatoly Bondarchuk (or à Munich, bronze à Montréal).

Bondarchuk est également docteur en pédagogie et auteur d'un traité d'entraînement apparemment fameux. Il a abouti à Kamloops, en Colombie-Britannique, pour se rapprocher de sa fille, qui habite en Alberta.

À l'époque, Armstrong était un des meilleurs jeunes lanceurs de marteau (Bondarchuk en avait entendu parler et c'est ce qui l'avait attiré au centre national à Kamloops). Et pourtant, après un mois, il lui a dit: «Oublie ça, le marteau, tu es un naturel du lancer du poids.»

L'élève a écouté le maître, qui a maintenant 72 ans, et l'écoute encore...

«On ne s'est pas parlé encore, mais il va être content, a dit Armstrong calmement. On s'ajustera pour la fin de la saison, il reste 7 ou 8 rencontres. Vous n'avez pas idée combien c'est populaire en Europe. Je vais me reprendre, je suis en bonne forme et je ne veux pas perdre ça. Je vais viser l'or aux Championnats du monde, je continue.»

***

Ils sont format géant, mais on ne les voit presque pas. Ils sont dans leur coin de pelouse, à lancer des boulets de 7,26 kilos sur cette surface coussinée. Swoosh. Swoosh...

L'annonceur parle d'eux de temps en temps. Mais il y a tant de choses à montrer! ... À l'autre bout de la pelouse, on lance des disques. Au fond, le saut en longueur. Et tout autour, sur la piste, ce sont tantôt les filles du 100 mètres, tantôt les heptathloniennes ou les coureuses de fond. Tout ce qui fait crier la foule.

Et la musique...

«Franchement, ça ne me dérange pas, on est dans notre bulle et on est habitué aux interruptions. Je trouve qu'ils ont fait un boulot formidable ici.»

Il en faut pas mal plus pour l'énerver. C'est un garçon délicat, qui ne se plaint pas pour rien.

***

La compétition venait de finir et le vainqueur, un autre délicat gaillard de 132 kilos nommé Tomasz Majewski (or à Pékin), s'est mis à courir vers les tribunes pour aller chercher le drapeau de son pays. Ce qui supposait traverser la piste d'athlétisme.

Le problème, c'est que pendant ce temps-là, les femmes couraient le 10 000 m. De loin, on a eu peur...

Ça ne démarre pas vite, un lanceur de poids de 300 livres, mais une fois sur son erre d'aller, mieux vaut se ranger.

La collision n'a pas eu lieu; tant mieux, même si c'eût donné un peu de visibilité à la discipline.

***

Quand l'entrevue avec Armstrong a été finie, je me suis reculé. On voyait une demi-douzaine de gros lanceurs avec du blanc sur les joues, mêlés aux filles miniatures du 10 000 m. Dont cette Viviane Cheruiyot, la Kényane championne du monde qui venait de prendre le bronze, minuscule entre les petites.

Côte à côte, deux versions extrêmes de la puissance du corps. Deux versions de la délicatesse humaine.

Pour joindre notre journaliste: yves.boisvert@lapresse.ca