Les Québécois ont perdu une idole. Eux ont perdu un ami et un coéquipier. Ils s'appellent Phil Goyette, Jean-Guy Talbot, André Pronovost, Marcel Bonin... Ils ont partagé les victoires et les défaites de Jean Béliveau. Leurs patins ont glissé sur les mêmes glaces, leurs bras meurtris ont porté les mêmes Coupes et, aujourd'hui, ils pleurent le départ d'un gentilhomme et la fin d'une époque.

«Je m'en vais aux funérailles de Gilles Tremblay samedi. Gordie Howe est à l'hôpital et il ne va pas bien du tout. C'est dur. C'est toute une époque qui est en train de partir. C'est une génération qui s'en va», a dit en soupirant Jean-Guy Talbot, hier, au bout du fil.

Cet ancien défenseur a disputé 14 saisons avec Béliveau, dans l'uniforme des As de Québec et du Canadien. «Je pense qu'avec Henri Richard, on est les deux qui avons le plus joué avec lui», dit-il.

L'homme de 82 ans, comme tous ses anciens coéquipiers et comme le Québec en entier, savait que Béliveau éprouvait des ennuis de santé. L'annonce de sa mort, mardi soir, l'a toutefois secoué. «Je n'ai pas dormi de la nuit», dit-il.

Talbot avait l'habitude de croiser Béliveau au Centre Bell. L'ancien capitaine légendaire promenait ses 6'3 et son sourire au salon des anciens, distribuait des poignées de main et aimait parler du bon vieux temps.

Le 31 août de chaque année, Jean-Guy Talbot prenait le téléphone et appelait celui avec qui il a remporté sept Coupes Stanley. Il tenait à lui souhaiter un joyeux anniversaire.

Mais en août dernier, Jean-Guy Talbot a appelé son ami, mais il n'a jamais pu lui parler. Il était malade. Il dormait. L'amour de jeunesse de Jean Béliveau, Élise Couture, lui a transmis ses voeux.

La classe à l'état pur

Parler à d'anciens coéquipiers de Jean Béliveau, c'est entendre des choses comme: «j'ai gagné sept Coupes Stanley avec lui». C'est aussi entendre parler d'un gentilhomme qui avait tout le temps le nez dans les livres.

«Jean, c'était un gentilhomme dans toute la force du mot. Un gars d'équipe, mais qui aimait aussi la solitude», raconte André Pronovost, qui a remporté quatre coupes avec Béliveau.

L'ancien ailier gauche se souvient des longs voyages en train. C'était l'époque de cette génération dorée qui a remporté cinq Coupes d'affilée, entre 1955 et 1960. «La plupart des gars, on jouait aux cartes. Jean, lui, aimait lire dans le train. Mais quand on prenait une marche, jaser avec Jean, c'était toujours intéressant. Il était charismatique. J'ai joué quatre ans avec lui et quatre ans après contre lui. On est restés amis pour la vie.»

Un beau jour de 1995, quand André Pronovost récupérait d'un triple pontage, il a vu la grande carrure de son ami surgir dans sa chambre de l'Hôpital général de Montréal. «C'était ça, Jean Béliveau, dit-il. La classe à l'état pur.»

«Une chose que j'ai remarquée de Jean, c'est qu'il s'est éduqué lui-même, raconte l'ancien centre Phil Goyette. Il ne se mélangeait pas ben, ben. Il avait toujours un livre dans les mains. Dans les longs trajets de train, il était assis dans son coin et il lisait des livres, un après l'autre. C'est ce qui a fait de lui l'homme qu'il est devenu.»

Le temps qui passe

Cette génération dorée du Canadien de Montréal part tranquillement. Jean Béliveau en était le plus illustre représentant après la mort de Maurice Richard. Il reste maintenant Henri et quelques autres, de moins en moins nombreux.

«On espère que cette époque ne va pas tomber dans l'oubli», dit en soupirant Goyette, 81 ans, qui a remporté quatre coupes Stanley avec Béliveau.

«On perd les joueurs tranquillement. La vie change. Il y a quelques autres qui ont des ennuis de santé, comme Dollard St-Laurent ou Henri Richard. Elmer Lach ne parle plus beaucoup, mais il a encore sa mémoire, explique Goyette. Je perds tous les copains. À Montréal, il n'en reste plus ben, ben.»

Phil Goyette, Jean-Guy Talbot et André Pronovost, eux, sont toujours là. Ils continueront à aller au Centre Bell, à faire partager leurs souvenirs de l'époque dorée de Jean Béliveau, celle où les années se comptaient en coupes Stanley.

Sauf que leur ami, lui, ne sera plus là, au salon des anciens à serrer des mains et raconter des histoires. «Il avait 83 ans, c'est trop jeune, regrette Phil Goyette. Jean est parti trop tôt, mais on ne va pas l'oublier. Vous pouvez être certains de ça.»

- Avec la collaboration d'André Rivest et de Christian Merciari