Si vous consultez les statistiques de la KHL par les temps qui courent, vous verrez le nom d'Alexander Radulov trôner chez les marqueurs. Au onzième rang, il y a celui d'Ilya Kovalchuk. Entre les deux, parmi les meilleurs attaquants du hockey russe, se trouve aussi le nom d'un certain Charles Linglet.

De ces trois joueurs, Linglet est probablement celui dont vous n'avez jamais entendu parler. Le Québécois a pourtant l'un des parcours les plus rocambolesques du hockey professionnel: il a quitté la maison à 17 ans pour aller jouer à Baie-Comeau, a commencé sa carrière en Alaska et est devenu le Québécois avec le plus de matchs dans l'histoire de la KHL. Il a aussi joué au détour cinq parties dans l'uniforme des Oilers d'Edmonton, une façon pour l'équipe de remercier ce vétéran de la Ligue américaine.

Et ces temps-ci, Linglet, qui n'a jamais été repêché dans la LNH, connaît une saison du tonnerre avec le Dinamo de Minsk. Il est même huitième marqueur de la KHL. «Je suis probablement en train d'avoir ma meilleure saison en carrière. C'est fou», lance l'attaquant de 32 ans, qui a joué pour un total de 10 formations au fil de ses 12 ans dans le hockey professionnel.

Charles Linglet a grandi à Outremont et à Laval. Le hockey est vite devenu pour lui synonyme de dépaysement: il a joué toute sa carrière junior avec le Drakkar de Baie-Comeau. Au début, il s'ennuyait des siens. Sa famille lui avait même envoyé son chien par avion pour lui tenir compagnie.

Mais le coloré entraîneur Richard Martel lui a appris que les sacrifices faisaient partie de la vie de hockeyeur. «Ce n'était pas tant les plans de match, les systèmes avec lui. Il se concentrait plus à nous préparer à devenir adultes, à devenir des professionnels.»

Renoncer à la LNH

Devenir professionnel. Charles Linglet a toujours pensé qu'il ferait carrière dans le hockey. Même quand les équipes de la LNH ne l'ont pas repêché malgré ses 6'2''» et ses statistiques honnêtes.

«C'est sûr que c'est plate de ne pas être repêché. Tu vois les gars dans ton équipe qui vont faire leur camp dans la Ligue nationale et toi tu restes dans le junior. Ça m'a motivé. Je ne me trouvais pas si loin des gars qui étaient repêchés, je pensais même que j'avais plus de potentiel que certains. Alors, j'ai continué à travailler fort.»

L'attaquant est parti de Baie-Comeau pour aller jouer dans l'ECHL, avec les Aces de l'Alaska. Puis, après deux saisons, en 2005, il s'est établi dans la Ligue américaine en rêvant à la Ligue nationale.

Son rêve se réalise finalement en 2010. Il vient de connaître une excellente saison de 74 points dans la Ligue américaine. Les Oilers d'Edmonton, eux, sont éliminés des séries. Ils décident de faire monter Linglet pour les cinq derniers matchs de la saison, ce qui implique de lui faire signer un contrat de la LNH.

«Les Oilers m'ont dit: «Tu as été droit toute la saison, tu as joué du mieux que tu pouvais toute la saison, on va te donner deux semaines dans la grande ligue.» C'était très chic. On n'entend pas souvent ça, des histoires d'équipes de la LNH qui donnent des contrats à un vieux vétéran de la Ligue américaine pour finir la saison. Un gars qui n'avait jamais joué un match dans la Ligue nationale. Ils l'ont fait pour moi. C'était un très beau cadeau.»

Durant ces cinq matchs, Linglet a accumulé... deux minutes de pénalité. «Je n'ai pas eu de grosses stats», dit-il en riant.

Cet été-là, à l'âge de 28 ans, il a décidé de tirer un trait sur la LNH. Il ne voulait plus écumer la Ligue américaine. Son agent lui parlait des gros contrats de la KHL. C'est ainsi que Charles Linglet a convaincu sa femme de le suivre et est parti pour la Russie. Autant dire dans une autre galaxie.

Québécois et Biélorusse

La congestion routière. C'est la première chose qui l'a frappé à Nizhny Novgorod. Ça et les voitures qui avaient l'air sorties d'un autre âge. Au camp d'entraînement, il a été surpris par la mauvaise condition physique des Russes, qui avaient l'air de tout juste sortir de vacances.

À la fin de la saison, le directeur de l'équipe s'est fait mettre à la porte. Son successeur ne voulait plus du Québécois, qui s'est trouvé un poste avec le Dinamo de Minsk, en Biélorussie.

Linglet joue encore avec l'équipe. Parce que c'est le lot des mercenaires du hockey en Europe, il a entre-temps joué avec Zagreb et Lugano, en Suisse, mais est de retour à Minsk. Il rêve d'y rester pour bien des années.

«Ça fait partie de la vie de pro en Europe. On a les meilleurs contrats en termes d'argent, mais ce sont des contrats à court terme, dit-il. Des contrats de cinq ans ici, c'est presque du jamais vu.»

Linglet est en voie de connaître sa meilleure saison en carrière. Il a 57 points en 53 matchs. Il rêve maintenant de rester à Minsk et de jouer avec l'équipe nationale biélorusse. Il a même obtenu la nationalité.

«J'aimerais avoir la chance d'être aux prochains Jeux olympiques avec la Biélorussie, raconte le Québécois. Ça serait un rêve de jouer aux Jeux. Ce serait le plus bel accomplissement de ma carrière.»

Non, Charles Linglet n'a jamais réussi à s'établir dans la LNH. Mais il a réalisé son rêve de devenir hockeyeur professionnel. Et il rêve maintenant aux Jeux olympiques.

«Je ne savais même pas qu'il y avait une ligue de Russes quand j'étais jeune. Dans ma tête, c'était la Ligue nationale, la Ligue nationale et la Ligue nationale, comme tous les joueurs juniors», lance-t-il.

Charles Linglet ne savait pas qu'il y avait une vie hors de la LNH. Maintenant, il sait.