Au Salvador, en Amérique centrale, les espoirs de médailles sont plutôt minces. Mais pour les 11 athlètes qui partiront à Pékin, financés par le mouvement olympique, la qualification est déjà une victoire...

Franklin Cisneros est un garçon qui aurait pu mal tourner. Dans son quartier de San Salvador surnommé La Fossa, des coups de feu viennent parfois briser le sommeil des habitants. La guerre des gangs, entre les deux principales maras du pays, y a déjà fait plusieurs morts. Dernier d'une famille de sept enfants, ce jeune homme de 24 ans qui se battait sans cesse à l'école aurait pu suivre le même chemin... jusqu'à ce qu'il rencontre le judo. «Je rentrais à la maison avec l'uniforme du collège déchiré, taché de sang parce que j'avais reçu un coup de poing. Alors un jour, ma maman m'a dit qu'il fallait que je cherche un sport pour me discipliner.»

Depuis, ce costaud de 81 kilos qui vit toujours chez sa mère a su se faire respecter... en se qualifiant aux JO de Pékin. «Ça s'est passé lors des Jeux panaméricains de Rio, quand j'ai obtenu une médaille de bronze. Les gars du quartier avaient accroché une grande pancarte sur le mur, pour me féliciter. Regardez ce titre, ajoute-t-il en montrant une couverture de journal relatant l'exploit: «Le héros inespéré, Franklin Cisneros a gagné une médaille historique en judo». Historique car c'était notre première médaille dans ce sport aux Jeux panaméricains. Et j'espère que pour ces JO de Pékin, je serai encore le héros inespéré. Pas seulement pour le judo, mais pour tout le Salvador!»

Dans ce petit pays de six millions d'habitants, les 11 athlètes qualifiés aux JO de Pékin poursuivent ce même rêve. Sans aide d'un ministère des Sports, qui n'existe pas, ou de leur fédération, souvent démunie, leur préparation a en partie été assumée par le comité olympique local, financé à 80% par le comité international. «Les compétitions olympiques constituent l'une des rares occasions, pour nos sportifs, de se frotter au plus haut niveau, assure Ricardo Palomo, président du Comité olympique salvadorien. Après Pékin nous aurons les Jeux centraméricains au Honduras. En 2010 ce sont les Jeux olympiques juvéniles à Singapour, suivis des Jeux panaméricains en 2011. On n'y va pas pour faire de la figuration. Nous voulons aussi construire un centre de développement des talents olympiques, avec son équipement, avec ses entraîneurs... Il n'y a rien de pire qu'un pays sans rêve.»

Cet enchaînement de compétitions a permis à Franklin Cisneros de voir du pays - rare privilège dans cette région du monde - et d'obtenir quelques avantages matériels, comme sa petite voiture achetée grâce à une prime de combat. Venu d'un milieu très modeste, le judoka n'a pas toujours eu cette chance. À 16 ans, il a même dû arrêter le judo... pour aider sa famille. «Mon père a migré aux États-Unis quand j'avais 1 an et il est revenu à mes 15 ans, encore plus pauvre qu'à son départ. J'ai alors travaillé dans un gymnase comme professeur de musculation. Parfois je ne pouvais me nourrir que de café et de pain ... C'était vraiment très dur. Après ça, la Fédération de judo m'a donné un emploi d'homme à tout faire. À l'heure de l'entraînement, je laissais mon balai et je me changeais pour aller sur le tatami.»

Pour permettre aux athlètes de s'entraîner dans de meilleures conditions, le Comité salvadorien a accordé une bourse olympique à une vingtaine d'athlètes, dont sept ont été qualifiés pour Pékin. Présent au stade dès 4h du matin, pour éviter les grosses chaleurs, le marcheur Salvador Mira touche ainsi 800$ par mois, soit quatre fois le salaire minimum. Mais pour son entraîneur, Rigoberto Medina, cette aide est loin de compenser le fossé économique qui sépare ses marcheurs de leurs adversaires mieux pourvus. «Une de mes marcheuses ne peut pas venir à Pékin car elle n'a personne pour s'occuper de son enfant cancéreux. Comme la fédération n'a pas de moyens, je dois chercher des commanditaires, fournir des chaussures à ceux qui n'en ont pas, faire les massages. Certains ont toutes les facilités, comme ce marcheur colombien avec lequel on s'est entraîné et qui va toucher 20000$ rien que pour se présenter sur la ligne de départ... Et d'autres n'ont rien.»

Le comité olympique local, malgré ces handicaps, tente déjà de mobiliser les Salvadoriens équipés de télévisions... et résistants aux retransmissions nocturnes depuis Pékin. «Le calendrier avec les jours et les heures de compétition de nos athlètes sera diffusé dans les journaux, à la radio, et même envoyé par SMS», détaille Ricardo Palomo. À Sydney, en 2000, une cycliste salvadorienne avait marqué l'histoire nationale en arrivant quatrième en poursuite féminine, au pied du podium. L'objectif des 11 athlètes qui iront à Pékin est simple: faire mieux.

LE SALVADOR EN BREF

Population: 6,5 millions d'habitants... plus trois millions de migrants aux États-Unis.

Superficie: 21000 km2

PIB: 20 milliards US.

Événements récents: le Salvador a fait parler de lui lors de la guerre civile, dans les années 80. Il a également été durement touché par l'ouragan Mitch, en 1998.

Athlètes qualifiés aux Jeux olympiques: 11 à Pékin (2008), 7 à Athènes (2004), 8 à Sydney (2000), 7 à Atlanta (1996), 4 à Barcelone (1992).