Dans leur cabinet et sur le terrain, ils voient passer des cas de tout poil. Des larmes, des rires, des complicités : les vétérinaires en ont long à raconter sur nos amis les bêtes, tout autant que sur les joies et les peines de leurs propriétaires. Cette semaine, incursion rodéo avec un vétérinaire de grands animaux.

La chance du débutant ? Parlez-en à Bruno Gariépy, qui a brièvement pratiqué en clinique pour grands animaux : il a en réserve quelques histoires de baptême du feu qui vous feront plutôt lâcher : « Ah, la vache ! »

Aujourd’hui, il peut rire de certaines de ses mésaventures, mais à l’époque où il était fraîchement diplômé de l’école vétérinaire, du haut de ses 24 ans, M. Gariépy ne les a pas toujours trouvées drôles.

Embauché en 2000 par une clinique en Estrie pour traiter de grands animaux, notamment de ferme, le voici lâché dans la nature pour sa toute première tournée seul, après deux semaines sous mentorat. En matinée, il se rend chez un jeune producteur agricole dont l’une des vaches, qui venait de mettre bas, présentait une infection utérine. Pas le choix : le vétérinaire enfile ses gants et applique la technique enseignée : un bras dans le rectum pour stabiliser l’utérus, l’autre s’y faufilant pour y injecter des antibiotiques. Inévitablement, il reste très collé à l’animal.

« En plein milieu de l’intervention, la vache a toussé. Ça a expulsé mon bras et j’ai reçu directement dans le visage et sur les cheveux plusieurs litres de diarrhée, je n’ai pas eu le réflexe de me tasser », se souvient M. Gariépy. À ses côtés, le producteur a beau se rouler à terre, saisi d’un fou rire, le vétérinaire ne la trouve pas si drôle. Il s’essuie stoïquement et finit le traitement. Son client lui propose finalement une douche et un dîner ; mais cette première journée n’est pas terminée.

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Pour certaines interventions, les vétérinaires enfilent de grands gants. Mais rien pour protéger le visage…

Au moment de quitter la ferme, le médecin démarre son auto et sent les roues passer sur quelque chose. En un clin d’œil, on passe du rire aux larmes : il venait d’écraser une patte arrière du chien du producteur, un vieux golden retriever sourd et obèse qui s’était couché sous le véhicule. Catastrophé, il s’occupe immédiatement de l’animal, dont l’os était brisé en mille morceaux. L’amputation est inévitable. Mais le propriétaire ne l’entend pas ainsi : son chien était en fin de vie et en mauvaise santé. Il demande une euthanasie, que M. Gariépy a dû pratiquer sur place.

J’étais anéanti. Quand le producteur m’a demandé de l’aider à transporter le chien pour que ses enfants ne le voient pas en revenant de l’école, ça m’a achevé. J’ai appelé la clinique pour dire que je rentrais chez moi.

Bruno Gariépy

Pas rancunier, tâchant de le rassurer en lui rappelant que c’est un accident, le propriétaire téléphone plutôt à ses confrères du coin pour raconter avec humour cette journée folle. Conséquence : pas facile pour le vétérinaire de mettre le pied chez des fermiers de l’Estrie sans qu’on fasse allusion à ses mésaventures…

La vache qui rit, la vache qui pleure

Des « premières fois », il y en a eu d’autres. Comme celle où il a dû dégainer sa carabine tranquillisante pour calmer une vache fugueuse réticente. Une arme avec laquelle il n’avait aucune expérience ni formation. Nerveux, il s’est renseigné auprès d’un collègue puis, peu à peu, s’est laissé griser par le défi, s’est placé, s’est camouflé. « J’étais comme un petit gars qui joue aux cow-boys et aux Indiens », se souvient-il. Il a ciblé, puis tiré. C’était sans compter sur une rafale de vent impromptue. « C’est pas ça que tu voulais faire, hein ? », a gloussé son client. En effet, au lieu de se ficher dans la cuisse, la fléchette a atteint le pis, provoquant la fuite de la vache d’où jaillissaient de grands jets de lait chaud. Une vraie scène de film à la Chaplin !

Panique en classe

Après un an de terrain, le vétérinaire se pose des questions. Le rythme est éprouvant, à coups de 70 heures par semaine, nuits, week-ends. Dans une région où il n’a aucun réseau, il doit gagner la confiance des producteurs méfiants face aux petits nouveaux. Surtout, il se sent peu soutenu et doit constamment gérer des situations imprévues. L’épuisement professionnel se profile.

Je suis arrivé dans une très grosse clinique, avec mille clients, j’aurais peut-être préféré commencer dans une petite clinique avec un meilleur encadrement.

Bruno Gariépy

Il saisit alors une offre salutaire pour enseigner en technique de santé animale dans un cégep ; un poste qu’il occupera pendant 18 ans.

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Le cours de M. Gariépy n’était pas stressant pour les lapins : un simple exercice de manipulation. Sauf que l’un d’eux présentait manifestement une faiblesse.

Sa première journée ? Une démonstration de manipulation d’un lapin de laboratoire. Chaque équipe d’élèves, tous novices, s’occupe d’un animal. L’une d’elles crie soudain à l’aide : son lapin a perdu connaissance. Diagnostic : crise cardiaque. Raide mort dans les bras d’une jeune apprentie. « Et là, je me retrouve à gérer toute une classe effondrée, qui est là pour sauver des animaux, et cette étudiante convaincue de sa responsabilité », raconte-t-il. En sortant du cours, il rapporte l’évènement à l’un de ses anciens professeurs. « T’es vraiment pas chanceux, ça fait 30 ans qu’on fait des cours avec des lapins, ce n’est jamais arrivé ! », s’étonne son mentor. Comme quoi une patte de lapin n’attire pas toujours la bonne fortune…

Heureusement, la guigne a fini par lâcher prise. « Ça ne m’a pas suivi par la suite, j’ai eu d’autres premières journées où tout s’est bien passé », rassure celui qui a récemment changé de vocation, mais tenu à conserver son permis de pratique vétérinaire. Mais ce qu’il gardera surtout à jamais, ce sont ces histoires saugrenues survenues dans des moments critiques, qui l’auront marqué au fer.