Au début du mois de janvier, la lutte contre le paludisme (ou malaria) a fait un grand pas. Des chercheurs américains ont annoncé qu'il était possible d'affaiblir le parasite responsable de cette maladie dévastatrice  au point de le rendre inoffensif pour l'humain. Le parasite affaibli devient alors un vaccin miracle. Si tout se déroule comme on l'espère, le paludisme pourrait être vaincu d'ici une dizaine d'années.

Rien ne doit arrêter le progrès scientifique... surtout pas le meilleur répulsif à moustiques. 

Pourtant, c'est ce que dix braves volontaires ont dû avoir eu envie de se procurer alors qu'ils subissaient, chacun, de 150 à 200 piqûres de moustique. Chacun de ces moustiques abritait une version génétiquement modifiée de Plasmodium falciparum, protozoaire parasite responsable de la malaria. Trois gènes essentiels à la survie du parasite dans le corps humain avaient été retirés de l'ADN de P. falciparum, qui n'a survécu chez aucun des dix volontaires.

« Nous avons potentiellement une approche qui va régler une fois pour toutes le problème de la malaria », explique Stefan Kappe, microbiologiste et auteur principal de l'étude publiée au début de janvier dans la revue Science Translational Medicine, qui travaille au Centre de recherche sur les maladies infectieuses et à l'Université du Washington à Seattle.

« Les vaccins actuellement en essais cliniques n'utilisent que des fragments du parasite, avec une efficacité de 30 %. Nous visons une efficacité de 100 %. Nous avons déjà démontré que chez la souris, l'infection au parasite affaibli protège contre le paludisme. »

« Et nous allons plus tard cette année tester la protection contre le parasite sauvage chez les volontaires qui ont reçu le parasite affaibli », poursuit M. Kappe. Pour ce test ultérieur, des médicaments antipaludiques seront administrés en urgence si le « vaccin » ne fonctionne pas.

D'ici 8 à 10 ans

Affaiblir le parasite du paludisme est une voie envisagée depuis belle lurette. « Mais jusqu'à maintenant, on utilisait l'irradiation, dit le microbiologiste Stefan Kappe. Ça donnait des résultats aléatoires, de sorte qu'il était difficile d'utiliser le parasite comme vaccin. Avec notre approche, on réduit au silence trois des 5000 gènes du parasite. » M. Kappe veut maintenant utiliser la nouvelle technique de manipulation génétique CRISPR, qui est encore plus précise et surtout plus rapide - il lui a fallu une demi-douzaine d'années pour retirer ces trois gènes du génome de P. falciparum.

Le vaccin pourrait être offert d'ici huit à dix ans si tous les astres sont alignés pour le financement de la recherche et le bon déroulement des essais cliniques. L'équipe de Seattle doit aussi trouver une manière de cultiver le parasite en laboratoire, ce qui, pour le moment, est impossible. C'est pour cette raison que les volontaires de l'étude de Science Translational Medicine ont été piqués par des moustiques plutôt que de recevoir les parasites en injection.

Le vaccin devrait être administré en deux ou trois doses, avec un rappel tous les deux à quatre ans. La souche du parasite qui est visée est celle qui est responsable de la quasi-totalité des morts dues à la maladie. Elle est surtout active en Afrique. La souche présente en Amérique du Sud et en Asie est moins virulente.

« On pourrait ajouter à notre vaccin des morceaux de la souche sud-américaine, comme les autres vaccins qui sont développés pour le moment. Je ne pense pas que l'impact sur la santé des souches moins virulentes du paludisme justifie un investissement aussi important en matière de recherche et de programme de vaccination » dit le microbiologiste Stefan Kappe.

Est-il possible que l'injection d'un parasite entier, ou encore le génie génétique, fasse peur au patient ? « Je ne doute pas que si nous démontrons que le parasite entier est assez affaibli pour être sécuritaire, le public va suivre, dit M. Kappe. Pour ce qui est du génie génétique, je pense que les inquiétudes sont légitimes, surtout dans le domaine alimentaire. Mais comme les bénéfices pour la santé seront énormes, le vaccin va être accepté. »

Le biologiste de Seattle est fasciné par les parasites depuis le début de ses études en Allemagne. « Ils ont évolué avec nous au fil des millénaires. Ce sont des organismes assez sophistiqués qui m'étonnent sans cesse. »

Le vaccin de l'OMS

En novembre dernier, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé pour 2018 trois projets pilotes visant le vaccin Mosquirix, mis au point par la firme GSK. Un essai clinique de phase III avait permis de constater qu'il réduit de 30 % le nombre de cas. Mais le Mosquirix, créé à partir de fragments du parasite responsable du paludisme, ne vise que les enfants de moins de 18 mois et n'offrirait de protection que pour un an ou deux.