Vingt-deux plongeons dans la zone inexplorée qui sépare Saturne de ses mythiques anneaux. Puis une ultime chute vers Saturne avant de disparaître à tout jamais. C'est le ballet cosmique qui s'enclenche aujourd'hui et qui sonnera la fin de la sonde spatiale Cassini. Zoom sur les derniers moments d'une mission qui nous aura révélé de nombreuses surprises en 20 ans et qui marque un peu la fin d'une époque de l'exploration spatiale.

22 PETITS TOURS...

Après 20 ans à parcourir le système solaire, la sonde Cassini est presque à court de carburant. Comment conclure une telle épopée ? La NASA a tranché : en effectuant 22 passages dans l'espace de 2400 kilomètres qui sépare Saturne de ses spectaculaires anneaux. Aucun engin n'a pénétré cette région, et les manoeuvres sont risquées. Aujourd'hui, pour son premier passage, Cassini utilisera même son antenne comme un bouclier pour se protéger d'éventuels débris qui pourraient s'y trouver.

« C'est hautement expérimental. Mais juste pour les images, ça va être quelque chose », commente Robert Lamontagne, astrophysicien à l'Université de Montréal.

Jamais on n'est allé si près de Saturne, et les scientifiques de la NASA espèrent en apprendre plus sur la formation des planètes géantes.

... ET PUIS S'EN VA

Le 15 septembre, Cassini effectuera un plongeon fatal dans l'épaisse atmosphère de Saturne. Pendant la chute, la sonde tentera de braquer son antenne vers la Terre pour envoyer le plus de données possible avant de se désintégrer. Robert Lamontagne explique qu'il était important de détruire la sonde afin d'éviter qu'elle ne contamine des environnements favorables à la vie comme Titan et Encelade, deux lunes de Saturne.

« Malgré les protocoles de stérilisation, il reste des microorganismes d'origine terrestre sur Cassini, et on a découvert qu'il n'est pas impossible que certains d'entre eux survivent à des séjours assez prolongés dans l'espace, explique l'expert. Imaginons maintenant qu'on aille sur Encelade dans 50 ans et qu'on découvre de la vie - on ne saura pas si c'est indigène à Encelade ou si c'est nous qui l'avons amenée là. »

LES LUNES ONT VOLÉ LA VEDETTE

Que retenir de la mission Cassini qui, après sept ans de voyage, a tourné pendant 13 ans autour de Saturne ? « Il s'était passé un peu la même chose quand on a exploré Jupiter : les lunes ont volé la vedette », répond Robert Lamontagne. Deux lunes de Saturne, en particulier, ont retenu l'attention : Titan et Encelade.

TITAN

Titan est le seul satellite du système solaire à posséder une atmosphère. C'est à la fois intéressant et frustrant : jusqu'à tout récemment, cette atmosphère opaque cachait l'astre. Cassini, grâce à ses instruments, a réussi à le cartographier. En 2005, malgré les risques de contamination évoqués plus tôt, la sonde a même largué l'atterrisseur européen Huygens, qui a percé l'atmosphère pour atterrir sur Titan. S'est alors révélé un monde qui ressemble étrangement à la Terre avant que la vie n'y apparaisse.

« On voit des lacs, des montagnes, des rivières. Il y a l'équivalent de notre cycle de l'eau, mais avec du méthane et de l'éthane. Il y a de la pluie, des orages... C'est un monde absolument fascinant », explique Robert Lamontagne. Pas plus tard que la semaine dernière, des chercheurs ont découvert l'origine de ce qui avait été décrit comme des « îles magiques » dans l'une des mers de Titan. Verdict : ces régions qui brillent sur les photos de Cassini sont formées par de grosses bulles de diazote qui remontent des profondeurs.

ENCELADE

« Là, on parle d'une découverte totalement inattendue », dit Robert Lamontagne. Cassini a découvert des geysers qui jaillissent à la surface glacée d'Encelade. Intrigués, les scientifiques ont envoyé la sonde y prendre une petite douche. Verdict : c'est de l'eau liquide qui sort d'Encelade, et elle contient des molécules organiques - les briques à partir desquelles se forme la vie. « Ça veut dire qu'il y a un océan, ou en tout cas une importante poche d'eau chaude, sous la glace. Et si on a de l'eau chaude depuis des millions d'années, il peut y avoir des microbes là-dedans », dit Robert Lamontagne.

LA FIN D'UNE ÉPOQUE

Pour Robert Lamontagne, la fin imminente de Cassini « met un terme à une certaine époque ».

« En termes d'envergure - la grosseur de la sonde, les équipements embarqués, la durée de la mission - , Cassini est assez caractéristique de la façon de faire l'exploration spatiale à la fin des années 80 », explique Robert Lamontagne.

La NASA préfère maintenant envoyer des sondes plus petites et moins coûteuses, quitte à en lancer plus souvent.

Photo fournie par la NASA

Image de Titan à l'infrarouge prise en 2015 par Cassini, qui a permis d'en révéler la surface au-delà de sa couche de nuages permanents. La couleur bleue représente des longueurs d'ondes moyennes de 1,3 microns, le vert des longueurs d'ondes de 2 microns, et le rouge, de 5 microns. 

La photo commentée de Robert Lamontagne

Le 14 janvier 2005, l'atterrisseur Huygens prend ce cliché en couleur de Titan.

« On voit des cailloux, c'est un peu flou, car la mise au point et la résolution ne sont pas parfaites, décrit l'astrophysicien. Par les standards modernes, la photo est assez banale. Mais c'est la seule photographie de la surface d'un monde situé à 1 milliard 500 millions de kilomètres de la Terre. Moi, ça me jette par terre. »

Huygens

Cliché en couleur de Titan.