Le caviar que vous dégusterez peut-être pendant les fêtes sera vraisemblablement issu d'esturgeons d'élevage, sa version sauvage étant hors-la-loi depuis déjà douze ans, rappelle Armen Petrossian qui dirige la société du même nom.

Noeud papillon et moustache cirée, le «pape» français du caviar développe la maison fondée en 1920 par son père et son oncle, venus d'Arménie, qui traite désormais près de 15% du marché mondial et s'approvisionne à "100%" auprès de fermes.

Parmi ces oeufs d'esturgeons d'élevage, allant du miel ambré au gris foncé, il y a du «très bon et du mauvais» bien sûr. «On sélectionne et on affine, on fait maturer. Ce travail est aussi important que celui du vigneron qui transforme son raisin. Et en amont, on discute avec les fermes pour améliorer les paramètres affectant la matière première: positionnement des élevages, nourriture, moment où l'on prélève les oeufs», explique M. Petrossian, soulignant que le caviar n'a «rien de générique, c'est un produit complexe».

Si l'ensemble du processus est parfaitement maîtrisé, «on peut arriver à produire des caviars très proches du sauvage», dit-il.

«Il est extrêmement difficile, voire impossible de faire la différence entre un très bon caviar issu d'esturgeons d'élevage et un caviar sauvage. Sur le très haut de gamme, même un spécialiste aurait énormément de mal à faire la différence», insiste-t-il.

De 500 kg en 1998, le caviar d'élevage est passé à 130 tonnes par an. Et les prix ont récemment baissé, les fermes arrivant, pour beaucoup, à un rythme de croisière leur permettant des économies d'échelle.

Dans le même temps, la vente légale de caviar sauvage à l'exportation est passée de 150 tonnes à pratiquement zéro, victime des excès de pêche d'esturgeons qui ont suivi la révolution islamique en Iran puis l'effondrement de l'URSS au début des années 1990.

«Sortant d'une période où l'on pouvait écoper de 30 ans de goulag pour un esturgeon pêché -- l'Etat contrôlait toute la production -- il y a eu un double phénomène, l'attrait du fruit défendu et l'intérêt économique», explique M. Petrossian, qui connaît bien le Caucase, parle russe et arménien et ponctue son discours de boutades-citations de Lénine.

Ainsi, «dans les pires années (1993-95), on a vendu du caviar à des prix dérisoires», autour d'une centaine d'euros le kilo contre 1400 minimum aujourd'hui. Et l'ensemble de la chaîne a été compromise par ces excès -- «on tuait jusqu'à des poissons âgés de 300 ans»--, qui ont mené à l'interdiction totale mise en place par la Convention sur le commerce international des espèces sauvages menacées (CITES) à partir de 1998.

Les pays producteurs, Russie et Iran en tête, pouvaient encore écouler leurs stocks pré-convention: «On a évidemment produit des stocks énormes», avant d'interdire leur exportation aussi.

Depuis, «le marché s'est assaini et le marché noir parallèle a été réduit de manière notable», dit M. Petrossian, qui est également président de l'International Caviar importers association (ICIA), même s'il regrette la disparition quasi complète de la pêche d'esturgeons sauvages.

Pour lui, «la CITES aurait mieux fait de préserver un foyer de production contrôlé, pour couper le prétexte du marché noir et donner des moyens financiers aux exploitants locaux qui n'ont plus que le marché noir pour survivre.»



Le spécialiste met aussi en garde contre le flou des étiquetages de certains concurrents, qui laissent volontiers croire qu'il s'agit de caviar sauvage. ger/bp/fm