Huit enfants aux destins abîmés par la vie ont trouvé refuge chez Charlotte* et Gérard, sur la Rive-Sud, depuis leur tendre enfance. La famille s'est créée au rythme des petits poucets nouvellement accueillis. À la veille de Noël, ils préparent le réveillon, et les cadeaux s'accumulent dans les armoires. Comme dans toutes les familles.

Dimanche après-midi, jour de tempête de neige. Chez Charlotte, 56 ans, réchauffée par un flamboyant feu de foyer, toute la famille est réunie autour du sapin à décorer. Maintenant que Constantin, 14 ans, est en pensionnat près de Coaticook, c'est seulement le week-end que les huit enfants et adolescents se retrouvent en famille.

Autour des boîtes débordant de boules et de guirlandes s'affairent fébrilement Sophie, 17 ans, Thomas, 16 ans, Guy, 13 ans, Constantin, 14 ans, Léa, 10 ans, Benjamin, 9 ans, Zacharie, 9 ans, et Félix, 5 ans. Les grands portent Félix, le dernier à avoir rejoint cette famille hors du commun, pour accrocher les décorations en hauteur. Dans quelques jours, ils fêteront Noël ensemble comme ils le font depuis, selon les cas, les premiers mois ou les premières années de leurs vies.

Tous ensemble, sauf Sophie. Placée jusqu'à sa majorité chez Charlotte et Gérard, elle ira passer Noël dans sa famille qu'elle revoit régulièrement depuis quelque temps. Les autres accueilleront les invités de Charlotte et Gérard. «On sera 30 à table au réveillon», lance dans un sourire Charlotte, ongles parfaitement manucurés et longs cheveux lisses, à qui les défis ne font pas peur.

Charlotte avait 13 ans quand elle est entrée pour la première fois dans ce qui était à l'époque un orphelinat. Une fillette de 6 ans lui raconte qu'elle restera sûrement toujours là, trop «vieille» pour qu'une famille veuille l'adopter. Charlotte est touchée en plein coeur.

Trente ans plus tard, adjointe de direction dans une entreprise, célibataire, elle prend sous son aile un premier enfant placé chez elle par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), puis un deuxième, un troisième, etc. Au cinquième, elle arrête de travailler. Jusqu'à neuf enfants et adolescents habiteront sa grande maison, un dédale de salles communes, de salles de bains et de chambres - neuf au total. Chacun vit là avec son caractère, ses blessures, ses déséquilibres. Et ses joies.

Patience et équité

Charlotte a adopté trois d'entre eux: Léa, Constantin et Thomas. Les autres, comme Sophie, sont là jusqu'à ce qu'ils aient 18 ans. Ensuite, ils devront voler de leurs propres ailes. «Mais ils savent que je ne serai jamais loin», souffle Charlotte.

Pleine d'énergie et pétrie d'amour, Charlotte veille sur ses petits comme une mère. D'ailleurs, les enfants l'appellent maman. «Ça leur est venu d'eux-mêmes. Je ne le leur ai même pas demandé», affirme Charlotte. Ils connaissent pourtant leur histoire. Certains se souviennent encore bien de leurs parents biologiques. Plusieurs les voient encore de temps à autre.

Mais c'est Charlotte, aujourd'hui, qui les élève et se bat pour eux. Pour leur obtenir les soins nécessaires à leur état de santé, l'école adaptée à chacun. C'est elle qui supervise les devoirs des jumeaux, emmène les uns et les autres chez le dentiste, le coiffeur, surveille les jeux des petits sur l'ordinateur, contrôle le temps passé par les grands sur les iPad, couve d'un oeil attendri, mais néanmoins vigilant son aînée et son chum, gère les accès de colère de la petite, entoure d'amour le benjamin, qui a toujours besoin de ses bras pour être rassuré. Le tout avec une patience et une équité sans faille.

«Pour Noël, j'ai une application sur mon téléphone dans laquelle je note tout ce que je leur achète comme cadeaux depuis ces dernières années. Je sais ainsi exactement combien chacun a reçu de présents, pour quelle somme et surtout... s'ils sont emballés et où je les ai rangés! Sinon, je ne m'y retrouve plus», raconte Charlotte.

Une vie sans ses enfants, Charlotte ne l'imagine même pas. À 56 ans, elle sait que Félix est «le dernier qu'[elle] met à l'école et qu'[elle] mène à ses 18 ans». Mais elle aura toujours une chambre pour venir en aide à de petits bouts de choux ballotés par la vie. Comme ce bébé de 5 jours débarqué l'été dernier pour trois mois ou ces deux soeurs qui ne parlaient ni français ni anglais et restées dans la famille pendant 24 heures à l'automne. Autant d'âmes en peine toujours accueillies à bras ouverts par Sophie, Thomas, Guy, Constantin, Benjamin, Zacharie, Léa et Félix.

*Tous les prénoms ont été changés pour conserver l'anonymat.