Les idées de chroniques gastronomiques tirent parfois leur origine des endroits les plus inattendus. Pour parler des marrons, c'est l'animateur de radio Daniel Séguin qui a mis la puce à l'oreille.

À la blague, il a fait jouer à répétition, un matin, la première ligne d'un illustre chant de Noël, interprétée par Ginette Reno: «Le feu dans la cheminée...»Moi, j'entendais plutôt la version anglaise, qui plaira davantage aux gourmands: «Chestnuts roasting on an open fire...»

Évidemment, le curieux se demande justement ce que sont ces «chestnuts» grillés, et où ils sont car chez nous, c'est un concept totalement étranger.

Premier arrêt, chez Byward Fruit Market, où le commerçant Isaac Farbiasz se spécialise, avec son épouse Myriam, en produits fins, dont beaucoup sont biologiques. Je vous ai parlé de ses truffes de l'Himalaya, plus tôt cette année, mais les «chestnuts», il les a toujours sur le comptoir extérieur parce qu'elles résistent au froid, comme les noix. Car c'en est une, finalement.

Si je dis encore «chestnuts», c'est pour éviter de faire la différence entre «marrons» et «châtaignes». Nous y reviendrons dans un instant.

«À New York, de la même manière que l'on vend des pretzels chauds sur la rue, on vend des marrons chauds», explique M. Farbiasz, qui connaît bien ses produits, et surtout, les différentes qualités. Ses marrons ne viennent que d'Italie, plutôt que de Chine. Traditionnellement, les marrons viennent aussi de France (en Ardèche surtout), d'Espagne et du Portugal. La France était un énorme producteur jusqu'à ce que deux maladies attaquent les arbres : on en produit quatre fois moins aujourd'hui : est-ce pour ça qu'on oublie le marron ?

«Sous l'effet de la chaleur, les marrons s'ouvrent. Avec un peu de sel, c'est très bon, poursuit M. Farbiasz. Cru, c'est moins populaire mais personnellement, je les aime bien ainsi.»

C'est très particulier comme saveur : noiseté, évidemment, la chair blanchâtre n'est pas aussi croquante qu'une noix, ni même une arachide. Juste un peu plus mou. Avec un goût riche de beurre, à mon avis.

Les marrons comestibles ne viennent pas du marronnier, qui donne un fruit non comestible, que l'on utilise en pharmacie. Le marron que l'on mange vient plutôt du châtaignier, arbre originaire du bassin de la mer Méditerranée. L'arbre fournit un fruit, la châtaigne, qui vient sous deux formes : une grosse, avec une noix de chair à l'intérieur, et une plus petite, qui se divise en plusieurs amandes. On connaît les marrons depuis des millénaires.

Le châtaignier, aussi appelé «arbre à pain», a longtemps été associé à l'aliment du pauvre. Fruit très énergétique, il a permis à des millions de personnes de traverser les famines de toutes les époques. On pouvait les manger crues, grillées, cuites à l'eau pour en faire une variante de purée de légumes, transformées en farine.

J'ignore si le châtaignier pousse en Amérique... enfin, certainement quelque part car il s'est adapté à tous les climats, même aux hivers rigoureux. Mais si la chanson a perpétué l'image des marrons chauds, et quelques vendeurs sur les rues de New York, au XXe siècle, il faut reconnaître que les marrons ont beaucoup disparu. Peut-être parce qu'ils demandent une manutention poussée. Nature, on les voit peu. Leur peau est coriace. Ils sont surtout vendus après transformation : grillés et sucrés, glacés, en crème (sucrée au sucre de canne), en purée nature, etc. Cette crème sert entre autres, en France, d'accompagnement à la dinde de Noël.

Isaac Farbiasz suggère de faire une petite incision en croix, avec un couteau, et de les enfourner 20 à 25 minutes. Ou de les placer près du foyer. Tiens, sur le barbecue, ça devrait marcher aussi.

Pourquoi vous parler des marrons maintenant ? Parce que la récolte se fait à l'automne et que conséquemment, on les a associés aux fêtes de fin d'année.

Et puis, l'idée est de redécouvrir une tradition d'autrefois. Et de réaliser que les anglophones ont quelque chose à se mettre sous la dent, en écoutant Ginette Reno entonner son Feu dans la cheminée...