Aux limites nord de l'Europe, plongés dans de longs hivers obscurs, les Finlandais cultivent la décoration avec une force vitale qui fait partie de l'identité de cette jeune nation âgée de 100 ans à peine. Exploration design à Helsinki, entre bord de mer, adresses design et maisons aux intérieurs nordiques minimalistes et chaleureux.

Helsinki, ville design

À Helsinki, grâce à une volonté politique et à un intérêt individuel, le design se vit au grand jour et contribue au bien-être collectif. Lumière sur l'envers du décor de cette ville modèle qui essaime ses idées aux quatre vents.

Sur la place du marché d'Helsinki, par une belle fin d'après-midi d'été, des jeunes et moins jeunes paressent en terrasse face à la mer, à quelques enjambées des paquebots qui se préparent à rejoindre Stockholm. Depuis le printemps 2016, des piscines en plein air permettent de se détendre sur le site le plus couru de la capitale finlandaise, en plein décor de carte postale. «C'est à peine croyable, on peut aujourd'hui se baigner face au palais présidentiel», fait remarquer Laura Aalto, directrice du développement chez Helsinki Marketing.

La ville a cédé gracieusement le terrain aux promoteurs pour ce lieu convivial destiné aux touristes, mais aussi aux résidants. Helsinki est l'objet d'une profonde métamorphose guidée par le design dans le sillage de l'obtention de son statut de capitale mondiale du design en 2012.

À un quart d'heure de métro, c'est un spa en forme de galet, le Löyly, d'Avanto Architects, qui est le poumon du nouveau quartier d'Hernesaari, aménagé sur un ancien site industriel. «Lorsque nous développons un nouvel endroit, nous commençons par y amener du design», pointe Laura Aalto, qui a épaulé le projet d'Helsinki capitale mondiale du design. Dans cette optique, la ville a nommé l'an dernier une responsable du design, architecte de formation.

Design démocratique

Le design accompagne le quotidien des Finlandais, de l'école au casse-croûte du coin. Le design est ici une évidence, loin d'être réservé à une élite. «Il était présent dans le quotidien de chacun bien avant que l'on parle de design finlandais», explique Laura Aalto.

La première organisation de promotion du design finlandais a été créée 42 ans avant l'indépendance du pays. Ce design a contribué à la construction de l'identité finlandaise, longtemps déchirée entre la Suède et la Russie. Les conditions de vie difficiles ont amené les artisans à concevoir des objets utilitaires, et donné naissance à un design démocratique.

La chaise 60 d'Alvar Aalto, le père du design moderne finlandais, créée en 1933, est ainsi devenue une icône du design contemporain maintes fois imitée par de grandes marques scandinaves au nom d'un «héritage spirituel».

Dans l'ombre de la Suède et du Danemark, l'influence du design finlandais se retrouve néanmoins aux quatre coins du monde, y compris au Québec, où la pureté de ses lignes séduit les jeunes en quête d'un design porteur de sens.

Alvar Aalto, l'éclaireur

L'empreinte d'Alvar Aalto se retrouve dans toute la ville, des bâtiments prestigieux, comme le Finlandia Hall en marbre, aux lampes et poignées de porte d'espaces commerciaux.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement finlandais a confié au designer et architecte la tâche de reloger 400 000 réfugiés. Pour eux, il a poussé à l'extrême son approche fonctionnaliste de l'habitat à travers l'aménagement, mais aussi le choix d'un mobilier élémentaire et multiusage.

Sa maison et son studio, qui héberge la Fondation Alvar Aalto, dans la banlieue d'Helsinki, se visitent comme un lieu de pèlerinage.

«Alvar Aalto privilégiait les espaces de vie, plus larges, aux espaces privés, plus petits», explique Kersti Tainio, guide attitrée de la Fondation Alvar Aalto.

Le gain de place était un souci constant. Inspiré par les atriums grecs, il dessine ainsi l'étage de son domicile familial avec un salon central donnant sur des chambres relativement étroites. Autre priorité: l'ouverture sur l'extérieur avec un jardin intégré à l'habitation.

Quarante et un ans après sa disparition, l'oeuvre du designer est plus actuelle que jamais. Il était l'an dernier à l'affiche d'une exposition à New York, et la marque de mobilier et d'éclairage Artek, fondée avec sa première femme, Aino, a sa place dans les plus grands salons de design. Une cave d'Helsinki abrite même, depuis 2011, un Artek 2nd Cycle, où les passionnés peuvent admirer, ou se procurer, des pièces rétros du pionnier du design finlandais. Patinées, détournées, repensées, elles ont d'autant plus de valeur et d'âme.

Marimekko, enseigne nationale

Que ce soit en ville ou chez l'habitant, impossible de passer à côté des objets et textiles signés Marimekko. C'est aussi la rigueur de l'après-guerre qui a poussé les fondateurs de la marque, Armi et Viljo Ratia, à vouloir des couleurs et des imprimés forts.

Le soutien de Jackie Kennedy, dans les années 60, a contribué à la réputation qu'ils ont acquise outre-Atlantique. Depuis, ce fleuron du design finlandais multiplie les collaborations avec des illustrateurs et designers à l'inspiration souvent nourrie par la nature.

Tout comme Artek et la marque d'articles de table Iittala, la marque souligne le centenaire de la jeune nation par une collection anniversaire. L'imprimé Veljkeset («frères» en finnois), signé Maija Louekari, fait référence aux légendes populaires finlandaises et à la forêt. Il a été projeté sur un bâtiment historique lors du festival de lumière Lux en janvier dernier, en ouverture des festivités du centenaire de la Finlande. Tout un symbole.

Photo Muriel Françoise, collaboration spéciale.

Situé en banlieue d'Helsinki, le studio d'Alvar Aalto, qui héberge la fondation qui porte son nom, se visite comme un lieu de pèlerinage.

La Finlande à la maison

Le design finlandais nous inspire. Voici comment le recréer chez soi, en quatre astuces.

Penser multiusage

One chair is enough («une chaise suffit») est l'un des credo de la société de design Artek, fondée par Alvar Aalto. En termes de décoration, pensez multiusage. Le tabouret emblématique 60 conçu par le designer, empilable, peut ainsi servir de chaise d'appoint pour des invités, de petite table de salon complémentaire ou encore de table de nuit. De même, un banc de qualité aux lignes simples structure l'espace, habille un couloir, offre des sièges de dépannage, un espace de rangement et peut faire fonction de tablette pour les beaux livres et magazines. Durable et économique.

Varier les matières

Pour un cocon zen et confortable, privilégiez le blanc pour les murs et les couleurs naturelles pour la décoration (gris galet, vert mousse, sapin, terre glaise...). Jouez plutôt sur les effets de matières pour apporter de la chaleur et un peu de fantaisie à votre intérieur. Les tables en bois, les fauteuils en cuir, les tapis et jetés à grosses mailles, les chaises en osier, les peaux de mouton, les paniers en rotin, les housses de coussin texturées, les céramiques brutes... tous les moyens sont bons. N'oubliez pas d'intégrer des plantes pour patienter jusqu'au printemps.

Sélectionner les imprimés

Si les Finlandais sont plutôt minimalistes lorsqu'il s'agit de décorer leur intérieur, ils aiment néanmoins s'entourer de motifs, souvent liés à la nature. Ceux-ci sont sélectionnés avec soin et habilement mis en scène pour éviter la surcharge. Si l'on voit rarement un canapé au tissu imprimé, en revanche, les coussins, rideaux, housses de couette, nappes, serviettes, torchons et tasses sont souvent ornés d'illustrations, et se mêlent à un linge de maison ou un service de table plus classique. Ces accessoires permettent aussi de changer facilement de décoration au rythme des saisons, très marquées en Finlande.

Soigner l'éclairage

L'hiver est particulièrement long en Finlande. Il fait nuit dès midi et beaucoup de journées sont accompagnées d'un ciel de plomb. Pour traverser ces moments obscurs et travailler les contrastes, l'éclairage est un élément clé de l'aménagement. Il est aussi la signature d'un lieu. En nordique, inspirez-vous des Finlandais et accordez une attention particulière à cet aspect de votre intérieur. Suspension, lampe sur pied, lampe de table, de bureau, sur un buffet, un bord de fenêtre, une cheminée, dans un coin... osez la multiplication. L'autre secret: les bougeoirs que l'on éparpille dans la maison et que l'on allume impérativement lorsque l'on reçoit.

Photo fournie par Mikko Ryhänen

Un intérieur signé Joanna Laajisto.

Deux designers montréalais à Helsinki

Les designers Lambert Rainville et Nicholas Sangaré, de la firme Rainville-Sangaré, ont profité de la bourse Phyllis-Lambert, remise par le Bureau du design de la Ville de Montréal en juin dernier, pour partir à la découverte de la création finlandaise. Voici leurs impressions à leur retour de la semaine du design d'Helsinki.

Pourquoi avez-vous choisi de mettre à profit la bourse Phyllis-Lambert pour aller à Helsinki?

Lambert Rainville: Nous sommes fascinés par le design finlandais, car la société finlandaise présente des similarités avec la nôtre: des hivers très marqués, l'importance de la nature, la présence de l'eau, la vie de chalet... Ils sont au nord, un peu isolés du reste de l'Europe, et ont connu, comme nous, des problèmes d'identité. Nous voulions comprendre comment ils ont réussi à développer un design très particulier qui les différencie des autres nations scandinaves.

Quelle mission vous étiez-vous fixée sur place?

Lambert Rainville: Nous sommes partis étudier le complément de l'architecture, les détails de celle-ci, comme les poignées de porte avec lesquelles nous travaillons, en nous concentrant sur l'oeuvre d'Alvar Aalto.

Nicholas Sangaré: Il utilisait les mêmes matériaux pour ses projets, mais, grâce à des détails, il réussissait à donner du caractère au bâtiment.

Quelles sont les choses qui vous ont marqués dans la conception de la ville?

Nicholas Sangaré: Là-bas, le design fait partie de la culture. Les gens achètent du local et de la qualité. Sur les tables du marché au port, on trouve des nappes Marimekko, des couverts Iittala, des tabourets Artek... L'homogénéité architecturale est aussi frappante.

L'habitat vous a-t-il interpellés?

Lambert Rainville: Oui, nous avons remarqué que les cuisines étaient plus petites, car ce n'est pas la pièce centrale de vie. J'ai l'impression que les gens s'en tiennent au minimum, pas dans un esprit minimaliste, mais plutôt pour s'entourer de choses importantes ou d'objets qui ont un sens.

En quoi le design finlandais peut-il être une source d'inspiration pour la ville nordique qu'est aussi Montréal?

Nicholas Sangaré: Les Helsinkiens semblent savoir où concentrer leurs efforts en matière de design, comme pour la nouvelle bibliothèque en cours de construction, qui sera un projet extraordinaire. Ils savent aussi mettre en valeur les matériaux et le savoir-faire locaux.

Lambert Rainville: Leur maîtrise de la lumière pour mieux vivre l'hiver a aussi retenu notre attention. Et la relation avec l'eau, beaucoup plus exploitée que chez nous. Se baigner est une chose publique. Il y a des plages, un accès facile à l'archipel, des saunas donnant sur la mer... On peut rester en ville les fins de semaine et s'y baigner.

Que va changer ce voyage d'investigation dans votre pratique au Québec?

Lambert Rainville: Pour rester dans l'esprit de la bourse, nous allons probablement développer des produits de façade. Nous aimerions proposer un concept qui pourrait partir des façades emblématiques de Montréal, de la brique aux luminaires. Lorsque l'occasion se présentera, nous développerons du mobilier, comme une chaise démocratique dans son prix, mais aussi dans sa forme.

Photo Alain Roberge, La Presse

Les designers Nicholas Sangaré et Lambert Rainville, de la firme Rainville-Sangaré