Qui ne se souvient pas d'avoir vu, chez ses grands-parents, dans un chalet loué pour l'été ou dans une vente-débarras, l'un de ces humbles tapis crochetés aux dessins naïfs et aux couleurs passées?

Tracés à la main ou imprimés mécaniquement sur des canevas souvent vendus par catalogue, leurs motifs de cabane à sucre, de maisons traditionnelles, de fleurs ou d'animaux ont orné les chambres à coucher et les salons de nombreux foyers nord-américains.

Curieusement, au Québec, cette forme d'art populaire a pratiquement disparu des écrans radars, alors qu'aux États-Unis, en Nouvelle-Écosse ou en Ontario, par exemple, la tapisserie au crochet, considérée comme un métier d'art à part entière, n'a jamais perdu de sa popularité. On lui consacre des musées, des conférences, des expositions, des périodiques, des boutiques, des écoles même!

Ici, une poignée de mordues - pour la plupart anglophones, d'ailleurs - se consacrent à la pratique et à la promotion de ce qui a déjà fait partie de notre patrimoine au même titre que la catalogne ou la courtepointe. 

Elles se rassemblent régulièrement pour échanger des trucs, apprendre de nouvelles techniques ou simplement pour socialiser. On dit «elles», mais ce n'est pas qu'une affaire de femmes: quelques hommes s'adonnent à la tapisserie, comme Jacques Lepage, ébéniste et membre de la Guilde de tapisserie au crochet de Beaconsfield, ou Jocelyn Guindon, des Tapissiers de Saint-Henri, à Montréal. D'ailleurs, l'un des grands noms de la tapisserie au Québec était un homme, Georges-Édouard Tremblay, mort en 1987, dont certaines tapisseries se vendent plus de 4000$ sur les sites d'enchères.

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

Au Québec, la tapisserie au crochet a pratiquement disparu des écrans radars. 

De génération en génération  

Plus près de nous, on peut admirer notamment le travail de Judith Dallegret, artiste peintre et professeure d'art, qui a choisi la tapisserie au crochet comme mode d'expression et sujet d'enseignement. 

Ses oeuvres, originales, gaies, colorées, pleines de vie et d'énergie (comme leur auteure, quoi!), sont tout à fait représentatives du renouveau de cette forme d'art. 

Née en Nouvelle-Écosse mais élevée à Longueuil, elle se réclame de quatre générations de rug hookers. C'est d'ailleurs un tapis crocheté par son arrière-grand-mère qui lui a, pour ainsi dire, fait découvrir sa propre fibre de tapissière. Ce tapis ancien tombait en lambeaux, comme c'est souvent le cas de ces humbles choses faites de fibres déjà usées que des milliers de pas ont foulées. C'est en cherchant comment elle pourrait le repriser qu'elle a découvert la Guilde de Beaconsfield... et qu'elle est devenue accro du crochet. 

Rencontrées lors d'une séance de démonstration donnée à l'occasion du 40e anniversaire de la Guilde, Louise G. de Tonnancour, Denise Vandenbemden, Dawna Matthiew et Claire Fradette ont des histoires similaires: venues là presque par hasard, elles se sont prises au jeu et crochètent comme d'autres tricotent, peignent ou tissent. 

Certes, les techniques et les matériaux de base ont évolué depuis l'apparition de la tapisserie au crochet en Amérique du Nord, vers le milieu du XIXe siècle. Ainsi, nombre d'artisanes travaillent maintenant avec des tissus de laine neufs ou peu usagés, qu'elles teignent elles-mêmes pour disposer d'une palette de couleurs satisfaisante, et qu'elles découpent ensuite en lanières plus ou moins fines à l'aide d'une machine conçue à cet effet. On peut même se procurer, dans les boutiques spécialisées, des lanières déjà coupées. De plus, on se sert préférablement d'un canevas de lin au lieu du jute de l'ancien temps, lequel résiste mal à l'usure et produit beaucoup de charpie (atchoum!). 

Un art utilitaire 

Étonnamment, malgré la finesse et la beauté de leur travail, plusieurs artisanes tiennent à ce que leurs tapis servent... de tapis. «Je ne les fais pas pour qu'on les accroche au mur, affirme Judith Dallegret, mais pour qu'on marche dessus.»

Avouons-le, poser le pied sur un tapis de cette valeur, ça fait un peu mal, alors qu'il en était bien autrement jadis naguère.

Comme bien des arts domestiques, la tapisserie au crochet visait d'abord essentiellement un but utilitaire: avant l'ère du chauffage central et de l'isolant R-48, nos aïeux gelaient tout rond dans leurs maisons. Pour couper le froid venu du sol, les riches pouvaient s'offrir des tapis d'Orient ou des carpettes tissées au métier, mais les familles modestes devaient se débrouiller avec les moyens du bord. Comme le tissu était rare et précieux, on l'usait jusqu'à ses derniers fils. Pas question donc de jeter les vêtements, même ceux trop usés pour être rapiécés. L'ultime stade de leur récupération consistait à les découper pour en faire des tapis tressés ou crochetés, des courtepointes ou des catalognes.

Photo Robert Skinner, La Presse

Professeure d'art, Judith Dallegret a choisi la tapisserie au crochet comme mode d'expression et sujet d'enseignement. 

En savoir plus

Guilde de tapisserie au crochet de Beaconsfield: www.beaconsfieldrughooking.com/fr

Tapissiers de Saint-Henri: users.aei.ca/rughookers/

Judith Dallegret: gohookit.blogspot.ca

Exposition virtuelle du Musée canadien de l'histoire: www.museedelhistoire.ca/cmc/exhibitions/arts/rugs/rugs01f.shtml