Tricot, crochet, tissage, broderie... Passe-temps branché chez les jeunes « hipsters », les travaux d'aiguille du temps de nos grands-mères attirent plusieurs designers qui remettent à l'honneur la lenteur et le savoir-faire artisanal. Attention, nouvel engouement.

Mikaël Charpin met de 10 à 30 heures à réaliser ses étonnants luminaires. Imaginez un fil électrique - jusqu'à 15 mètres de longueur - au bout duquel brille une ampoule antique et qui est «habillé» d'une gaine tricotée à la main.

«La création est longue et fastidieuse, admet le designer de 30 ans qui a une formation en architecture. La couleur de la matière (pure laine, mohair, alpaga, mérinos) ou la longueur du luminaire peuvent même changer en cours de fabrication», ajoute le fondateur d'esco atelier design. Plutôt que de manier l'aiguille, Mikaël Charpin utilise, en guise d'outil, un tricotin qu'il fabrique lui-même selon le nombre de mailles désiré et le type de laine utilisé. «J'aime le contraste entre la laine, un matériau traditionnel et chaleureux, et le fil électrique industriel», avoue-t-il.

Même effet de contraste pour la radio de table de Chloé Audet, 23 ans. Ce prototype coulé dans du béton est orné d'un tricot coloré qui dissimule le haut-parleur. «C'est ma soeur, Émilie, qui l'a crocheté», explique la jeune diplômée du programme de design de l'environnement de l'UQAM. «À mes yeux, le béton, un matériau imposé lors de notre atelier, est froid et dur. J'ai donc voulu le réchauffer et l'adoucir avec de la laine», dit-elle.

Artisanat contemporain

L'engouement pour les travaux d'aiguille se manifeste de plusieurs façons dans le milieu du design contemporain.

Certains concepteurs, parmi les plus créatifs, ne cessent depuis des années de détourner et, surtout, d'actualiser le travail artisanal. C'est le cas, à Montréal, de Samare, un collectif qui fait appel à des artisans et qui a exposé ses nouveautés à maintes reprises au prestigieux Salon du meuble de Milan.

Dès 2008, les créateurs y ont dévoilé leur première collection de meubles métalliques aux lignes nettes, composés de babiche. Ensuite, la technique ancestrale a été utilisée de nouveau, mais cette fois, avec du nylon aux couleurs vibrantes. Ont suivi, notamment, des jetés et des tapis inspirés des ceintures fléchées. «Nous puisons dans les emblèmes et les savoir-faire québécois et canadiens pour ensuite les remettre dans un contexte d'avant-garde, explique Patrick M. de Barros, cofondateur de Samare. Notre travail de création n'a donc rien de nostalgique. Au contraire.»

De son côté, le designer étoile Kwangho Lee tisse et entortille des fils électriques pouvant atteindre plus d'un kilomètre afin de produire des luminaires étranges et poétiques. Les différents modèles de cette collection (baptisée Knot-beyond the inevitable) exigent de trois heures à 15 jours de travail. Influencé par les tricots de sa mère, le créateur coréen de 31 ans croit qu'à l'heure de la production de masse, «le travail manuel peut fournir une nouvelle signification et une valeur différente aux objets usuels.»

Prendre le temps

«À l'instar du slow food, qui s'oppose à la restauration rapide, le slow design se dresse contre l'objet hautement industrialisé dont les techniques de mise en oeuvre et de distribution sont associées au volume et à la rapidité, précise André Desrosiers, professeur à l'École de design de l'UQAM. Le slow design privilégie la lenteur pour bien faire les choses, mais aussi la durabilité et la pérennité des produits.»

La beauté de l'imperfection

«Nous assistons à un retour à certaines valeurs, dont celle du fait main, qui nous ramène à l'époque de nos grands-mères où tout ce qui était tricoté, crocheté ou tissé possédait de la valeur, car cela représentait, entre autres, beaucoup de travail», rappelle Marie-Josèphe Vallée, professeure de design d'intérieur à l'Université de Montréal.

L'objectif des créateurs actuels n'est toutefois pas de faire comme mémé. «Leur démarche vise plutôt à réinterpréter le travail artisanal», observe Mme Vallée.

Sans compter la richesse des matériaux traditionnels privilégiés et leur valeur symbolique, comme la laine, qui peut éveiller des souvenirs de longues soirées d'hiver. «Ces matières sont riches de sens et très évocatrices. D'où leur succès», poursuit Marie-Josèphe Vallée. Selon cette dernière, même les imperfections du fait main peuvent nous émouvoir. «Un léger défaut humanise l'objet, car il nous renvoie à la personne qui l'a confectionné», ajoute-t-elle.

Photo: Alain Roberge, La Presse

Mikaël Charpin met de 10 à 30 heures à «tricoter» ses étonnants luminaires.

Fibre sensible

En réaction aux environnements très léchés et dépouillés du modernisme, plusieurs designers créent des textures et des reliefs originaux dans le but d'établir un rapport plus sensible entre l'objet et l'utilisateur, renchérit Jean Therrien, professeur agrégé de design d'intérieur à l'Université de Montréal.

L'avenir du slow design

Le slow design a la cote. Mais n'est-ce qu'un courant passager? «Certes, la production artisanale ne chassera pas la fabrication industrielle, mais elle peut prendre sa juste place parmi les différentes tendances, estime André Desrosiers. Toutefois, un nouveau dialogue est à parfaire entre le designer industriel et l'artisan.» La clé du succès? «Le designer qui est également artisan a une longueur d'avance, car il supprime un intermédiaire et son lien avec la clientèle est direct. Ensuite, il lui reste à développer un marché», conclut le professeur à l'École de design de l'UQAM.